Chapitre 65

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Nous qui devions normalement repartir au plus vite, nous nous somme finalement attardés la journée entière dans le petit hôtel. Volets et rideaux tirés, pelotonnés dans le lit, nous laissâmes les heures défiler sans rien dire.

D'ordinaire, c'était moi qui me blottissait contre Kyle, lui qui était bien plus grand et imposant que moi. Mais aujourd'hui, les rôles étaient inversés, et c'était moi qui le tenait, qui l'entourait de mes petits bras du mieux que je le pouvais, la tête nichée contre son épaule, les yeux fermés. J'avais peur, sans cesse peur, qu'il ne finisse par me repousser, dégoûté de moi, de la voleuse que j'étais, mais non, il resta immobile, dans mon étreinte, et finit même par me prendre la main.

Peu à peu, la faible lumière qui réussissait à percer les volets de notre chambre disparut, signant sans doute le retour de la nuit. Je sentis Kyle bouger, se redresser, et je l'imitai, pensant qu'il allait tout simplement m'annoncer qu'il était temps de repartir. Mais il s'immobilisa de nouveau, assis sur le lit, et proche, si proche de moi...

Lorsqu'il parla, ce fut à voix basse, et d'une voix un peu rauque après tant de silence :

- Tu ne peux pas t'en vouloir, Soleil. Il y a des choses contre lesquelles on ne peut pas lutter, et tout ceci... Tu n'y es pour rien. Jodi aurait pu vivre, mais la vie en a fait autrement. Maintenant, de toutes les âmes qui auraient pu prendre son corps... Je suis content que ce soit toi. Et je suis soulagé que tu puisses te souvenir d'elle, faire honneur à celle qu'elle était, et prendre soin de son corps.

- Kyle...

- Tu prend soin de ce corps. Tu défends Jodi, bien que tu ne la connaisse que par ses souvenirs. Tu es douce et pourtant déterminée, un peu maladroite et très jeune par certains aspects, mais aussi tellement mature par d'autres.

Il se tut. Je ne savais que répondre. Jamais je n'avais entendu Kyle si posé, si calme, si sincère dans l'expression de ses sentiments. Quelque chose semblait avoir changé, quelque chose s'était passé au plus profond de lui, et je ne savais comment réagir.

Mais ses mots m'avaient fait du bien. Ces quelques phrases avaient allégées le sentiment de culpabilité qui me rongeait, allégées la honte que je ressentais de me sentir si privilégiée pour avoir eu le droit de rester ici, au côté de Kyle, contrairement à Jodi.

Il restait silencieux. Je restais de marbre. Moi qui avait été persuadée, il n'y avait pas si longtemps, que j'étais capable de me séparer de Kyle, que je le devais, même ! J'étais désormais de nouveau pleinement sous l'emprise de mes sentiments, et des pensées inconvenantes jaillissaient dans ma tête.

J'avais déjà embrassé Kyle, une fois. Cela avait été un acte irréfléchi, guidé par une pulsion émanant de ce corps, et je m'en étais voulue de m'être laissée autant dominée par mes émotions, sans toutefois parvenir à tout à fait regretter ce baiser manqué. Je me souvenais du goût particulier de ses lèvres, et de ma brève fascination pour leur texture, avant qu'il ne me repousse, un air de dégoût sur le visage, qu'il n'avait pas réussi à cacher.

Et, bien entendu, Jodi portait en elle le souvenir de milliers de baisers échangés. Ces souvenirs étaient intenses, brûlants d'intensité, et le simple fait de les évoquer suffisait généralement à me faire rougir. Il n'y avait jamais eu de demi-mesure entre Kyle et Jodi, cela avait toujours été le feu, les flammes, l'explosion des sentiments et des sensations. Cela avait rendu mes premiers mois sur Terre bien éprouvants, lorsque ces souvenirs ressurgissaient dans mes rêves, la nuit, me laissant trempée de sueur au petit matin, la tête embrumée d'images qui ne m'appartenaient pas.

Combien de fois avais-je souhaité, à cette époque, que les Traqueurs attrapent Kyle. Combien de fois avais-je espéré qu'un jour, une âme toquerait à ma porte, et qu'elle aurait son visage. Combien de fois m'étais-je imaginé cette âme inconnue, m'avouant qu'elle rêvait de moi tous les soirs, comme moi je rêvais d'elle...

Maintenant, cette idée me répugnait. Kyle était ce qu'il était. Arrogant, fier, têtu et sanguin... Mais également protecteur, fort, courageux, entier.

Ce corps l'aimait profondément. Je ne pouvais le nier.

Mais moi aussi, je l'aimais, et c'était là ce qui avait constitué mon grand problème, car la réciprocité n'intervenait pas dans mon cas.

Il n'avait toujours pas dit un mot de plus. Je sentais son souffle chaud sur ma peau, bien que je sois incapable de le distinguer dans l'obscurité.

Je sentais la tension. Et je savais qu'il la sentait aussi.

Mon corps y réagissait, sans que je ne puisse le contrôler. Les battements de mon cœur s'accéléraient. Ma respiration se faisait plus brève, je la prenais plus souvent. Ma peau devenait moite, tandis que mes muscles se tendaient. C'était un supplice, un réel supplice.

Sa main monta vers mon visage, lentement. Je sentais combien il était dur pour lui de se retenir. De me toucher avec lenteur. Avait-il peur de m'effrayer ? Avait-il peur que je ne me braque ?

Je fermais les yeux. Sa main tremblait, à présent, je sentais les doux tressautements de sa paume contre ma peau. Mes lèvres étaient serrées, pincées, car je ne voulais pas laisser un gémissement m'échapper, je ne voulais pas perdre le peu de contrôle qu'il me restait...

Son pouce vint tracer la silhouette de mon nez, presque tendrement, et ne s'arrêta pas ensuite, dessinant la courbe de mes lèvres. Je n'osais pas bouger, certaine que si j'esquissais le moindre mouvement, je perdrais tout discernement. Toutes les sensations étaient exacerbées.

La chaleur de sa peau...

Son haleine s'écrasant sur mon visage...

Le son heurté de sa respiration...

Son front se posa contre le mien. Il était proche, si proche que nos respirations se mêlaient. C'était à mon tour de trembler. La tension atteignait son paroxysme, et je savais que cela ne durerait plus longtemps, que d'une manière ou d'une autre, nous allions devoir la briser.

Mes yeux étaient toujours clos. Je ne voyais rien, mais je n'en avais pas besoin. J'avais tellement conscience de Kyle... C'était fort, encore plus prenant que dans mes rêves ou mes souvenirs. Comment avais-je pu vivre plusieurs vies en passant à côté de cela ? Rien ne s'était encore passé, et pourtant, je ressentais tout plus violemment que jamais.

Je tentais de ne pas penser à ce qui allait suivre. De ne pas penser à ses lèvres qui se poseraient sur les miennes, volontairement, cette fois. De ne pas penser que mes rêves se réalisaient ce soir.

Il bougea.

Il se rapprochait.

Sa respiration était brûlante, maintenant. Nos nez s'effleuraient, timides.

Mon cœur accéléra davantage.

Ce n'était sûrement pas bon.

Allait-il s'arrêter ?

Il se rapprocha encore. C'était là, c'était maintenant. La distance nous séparant était infinitésimale, ridicule.

Un drôle de bruit s'échappa de sa gorge.

Et puis...

Il n'était plus là.

Si vif que je ne me rendit pas compte tout de suite qu'il avait disparu. Soudain, il n'y avait plus personne d'assis sur le lit avec moi. Le souffle brûlant sur ma peau avait laissé place à un courant d'air glacé, et je pouvais l'entendre faiblement à l'autre bout de la pièce.

Mes yeux s'étaient rouverts. La pénombre me dissimulait. C'était bien. Je distinguais à peine la forme de son dos, loin, trop loin de moi.

J'avais l'impression que mon cœur venait d'être arraché de ma poitrine. Un goût de bile amer me remonta dans la bouche, mais je me forçai à ravaler cette rancœur. Ma gorge me brûlait, mon estomac se soulevait. Mes deux mains vinrent se poser sur ma bouche, retenant un sanglot que je refusais de laisser éclater.

A la place, je me laissai glisser, doucement, sur le côté, passant de la position assise à celle allongée, sur le flan, les genoux repliés sur ma poitrine, comme pour me protéger.

Je laissais les larmes silencieuses s'écraser sur mes pommettes pour dégouliner dans mon cou. 

Les âmes indigènes [Les âmes vagabondes Fanfic]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant