Chapitre 27

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Il était dans les habitudes de Jeb de faire tourner un minimum les groupes de travail, pour éviter que ce soient toujours les mêmes qui aient à endurer les plus rudes besognes, mais nous avions quand même tous certaines habitudes. Par exemple, les garçons étaient aux champs bien plus souvent que moi, car on ne pouvait se permettre de se passer de leur force quand il fallait retourner une parcelle entière, de la même façon, Sharon était monopolisée par l'éducation des jeunes, et certaines personnes fonctionnaient en groupe – Moi et Ian, Mel et Jared, Kyle et Soleil étant les plus évidents -.

Pourtant, avec l'arrivée des deux jeunes femmes, toute l'organisation a été chamboulée. J'ai vite compris l'idée de Jeb : il voulait que tout le monde se retrouve à travailler en étroite association avec les deux nouvelles arrivantes, comme il l'avait fait avec moi lorsque j'avais débarqué dans les grottes. Ainsi, Jared se retrouva un jour aux cuisines avec Grâce, ce qui ne lui arrivait jamais, et Soleil et moi dûment redoubler d'efforts sur les parcelles en compagnie de Madison. Je comprenais le stratagème, mais je n'aimais pas être dérangée dans mes habitudes.

Ce jour là, j'étais donc en compagnie de Mélanie et d'un petit groupe d'autres personnes, avec pour mission de désherber une parcelle. C'était un travail plus compliqué qu'il n'y paraissait, car il fallait être minutieux et efficace pour ne pas laisser les racines en terre, et nous avions été séparées de Ian et de Jared, comme trop souvent ces temps-ci. Madison faisait partie du groupe, et Grace était un peu à l'écart de la parcelle, occupée à coudre divers bouts de tissus ensemble ( elle affirmait que la lumière était meilleure, à cause des miroirs pour les plantes) . Elle s'était fabriqué un petit banc avec une grosse pierre rectangulaire, et en avait empilé d'autres pour poser son matériel un peu en hauteur, lui évitant ainsi de trop se pencher pour le saisir. Sa présence ici ruinait toute l'organisation minutieuse de Jeb, et cela m'irritait particulièrement, mais je m'empêchais de protester. L'irritation était une émotion désagréable, encore plus pour ce jeune corps qui ne savait pas comment la gérer. Le seul avantage que j'en tirais était une certaine efficacité : j'arrachais d'un coup sec les plantes indésirables, avec suffisamment de force pour ne plus rien laisser en terre et ne pas avoir trop besoin de me servir de mes outils. L'inconvénient, c'est que l'effort me fatiguait plus vite.

C'est donc dans ce contexte que survinrent les secousses. J'étais affairée avec ma binette (c'était le nom de l'outil que j'utilisais tant bien que mal) lorsque, soudain, le sol trembla sous mes pieds. Au début, je ne l'identifiais pas comme tel, je me retrouvais juste brusquement envoyée vers l'avant, comme si on m'avait poussée, et je ne compris ce qui se passait que lorsqu'un cri, un mot plutôt, retentit dans mes oreilles («Séïsme!! »).

Je m'étais écroulée à terre, contre nos précieuses pousses, heurtant au passage la binette. Une douleur aiguë se fit ressentir sur ma lèvre, et je goûtais le goût du sang... De mon sang... Je réprimais un violent haut-le-cœur et, instinctivement, me protégeais la tête de mes bras, sentant des petits coups pleuvoir sur ma nuque et mon crâne. Un rugissement sourd emplissait mes oreilles, sans que je sache s'il était réel ou dans ma tête, et j'étais bien incapable de dire ce que faisaient les autres.

Tout s'est arrêté aussi soudainement que ça avait commencé. Sous mes genoux, le sol était redevenu stable, les murs ne tremblaient plus. Mes mains tressautaient violemment, j'avais le souffle court, et j'étais couverte de poussière. Tout autour de moi, j'apercevais de petits cailloux, qui s'étaient sûrement détachés du plafond. J'ai voulu appeler Mélanie, mais mon corps était choqué et ne me répondait plus. J'ai relevé la tête tant bien que mal, et elle était là. D'une poigne douce mais ferme, elle m'a éloignée des pousses écrasées et m'a aidée à m'asseoir.

Un cri sourd et inarticulé m'est parvenu, et Mel et moi nous sommes retournées pour en saisir la provenance. C'était Madison qui l'avait produit. Elle avait rejoint Grâce, qui était étendue face contre terre, les yeux clos. Mon estomac s'est vrillé douloureusement. Mel a eu un vague mouvement, comme si elle voulait se relever, mais je sentais qu'elle répugnait à me laisser. C'est Heidi qui fut la plus prompte à réagir, nous autres étions tous sonnés et un peu hébétés, contemplant la scène sans bouger néanmoins. Heidi s'est penchée sur Grâce, l'a positionnée sur le flanc avec des gestes précautionneux, avant de l'interpeller tout bas. Ses paupières fermées ont frémi, et après quelques secondes se sont ouvertes.

Madison a émit un nouveau son qui paraissait soulagé et a jeté ses bras autour de son cou, lui plantant un baiser sur la bouche.

Je suis restée abasourdie, incapable de trouver une pensée rationnelle, incapable de trouver dans la courte mémoire de l'hôte de Petty de quoi donner du sens à ce qui venait de se dérouler sous mes yeux. Mélanie me tirait par mon T-shirt.

- Arrête de les fixer, tu n'as pas envie que Grâce s'en aperçoive ! A-t-elle sifflé entre ses dents serrés.

Avec un sursaut d'horreur et de honte, j'ai baissé les yeux. Je sentais le regard de Mel qui me transperçait. Sa main s'est approchée de mon visage, et elle l'a fait tourner avec douceur pour évaluer mes blessures.

- Tu as l'air surprise. Les relations entre personnes du même sexe n'existent pas, dans votre petit monde parfait ?

J'ai réfléchi sérieusement à la question. Effectivement, pour moi, il était toujours allé de soi qu'une âme et son compagnon devaient être de sexes opposés, et je n'avais jamais rencontré d'autres cas... Pas à ma connaissance, du moins. J'avais vagabondé sur bien des mondes, mais les liens que j'y avais créé n'avaient jamais été suffisamment forts pour me retenir sur un monde, je ne pouvais donc me vanter d'avoir connu tous les secrets de mes amis, dans la mesure où les mots « secrets » et « amis » avaient un sens pour nous (car après tout, nous étions toutes sœurs, toutes amies!). Et de plus, je savais bien qu'une âme pouvait parfaitement utiliser un hôte dont le sexe ne s'accordait pas au sien, ce qui complexifiait encore les choses. Je me suis mentalement réprimandée. J'étais une voyageuse, une pionnière, j'avais eu des hôtes polygames et d'autres dont la population se répartissait en trois sexe, et j'étais choquée par deux jeunes humaines qui s'aimaient. Je pouvais mettre une partie de cette réaction sur le corps inexpérimenté de Petty (elle-même inexpérimentée en tant qu'âme), mais cela ne pouvait tout excuser.

En face de moi, Mélanie m'observait, attendant ma réponse. J'ai ouvert la bouche pour dire quelque chose, mais je ne savais pas comment exprimer ce que je ressentais, finalement, j'ai fini par lâcher que je ne savais pas. Je n'aurais de toute façon pas pu m'étendre sur le sujet, ma lèvre avait enflé douloureusement et gênait mon élocution. Des larmes ont embuées mes yeux, sans que je n'en saisisse vraiment la raison.

- On en discutera plus tard, a décrété Mel, je t'emmène à l'infirmerie.

Et sur ce, sa main puissante m'a relevée et m'a entraînée vers le repaire de Doc. 

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Voici pour cette semaine! Je ne vais pas vous mentir, d'ici quelques chapitres nous arriverons à un moment charnière de l'histoire, et j'en suis toute excitée ^^ 

Les âmes indigènes [Les âmes vagabondes Fanfic]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant