Les âmes indigènes [Les âmes vagabondes Fanfic]

Chapitre 85

Je ne suis pas vaillante et forte. Peut-être ne l'avais-je jamais été. Ou en tout cas, pas assez. J'habitais pourtant un corps fort, qui avait abrité un esprit plus fort encore, mais j'avais chassé cet esprit et pris sa place. Je ne pouvais m'empêcher de penser que ce n'était pas pour le mieux.

J'avais aimé la Terre, dès mon arrivée sur cette planète. Profondément. Les émotions étaient vives, compliquées à gérer, et mon hôte se languissait d'un autre humain, mais malgré ça, j'avais pu apprécier la saveur de la vie sur Terre. Les odeurs et les couleurs, les goûts et les sensations... Le vent sur ma peau fine, la chaleur du soleil qui me réchauffait toute entière, les formidables dessins de la nature elle-même... Quand j'étais Ours, je sculptais de la glace, et ainsi nous pouvions créer des villes fantastiques et fabuleuses, qui brillaient de mille couleurs lorsque la lointaine lumière de l'étoile de cette planète traversait nos œuvres, égayant ce paysage immaculé. Sur Terre, il n'y avait pas besoin de tailler des villes : la nature suffisait. Les montagnes se dressaient à la rencontre du ciel, les fleuves et les rivières dévalaient les collines jusqu'à la mer, qui engloutissait la terre avec fracas, et partout s'épanouissaient la vie, tantôt aride et débrouillarde, tantôt riche et foisonnante. Les arbres et les buissons, les fleurs et les herbes, la mousse et les fougères... J'avais accepté de renoncer à ces merveilles en laissant Kyle m'emmener loin de tout ce que j'avais connu jusqu'alors.

J'étais persuadée que le sacrifice en valait la peine.

Mais Kyle n'était plus là, seuls ses souvenirs doux-amers demeuraient.

Si j'avais pu retourner à ma vie d'avant, revoir le soleil se coucher et se lever, contempler les champs et les vallées... J'habitais avec les hôtes des parents de Jodi, alors. Je me sentais bien en leur présence. Ils habitaient en ville, mais les âmes avaient aménagés nombre de parcs et d'espaces publics fleuris et bucoliques entre les différents quartiers, et parfois nous partions en week-end tous les trois à la découverte de nouveaux endroits. Je chérissais ces souvenirs, mais ils faisaient partie d'une autre vie, ils appartenaient à une autre personne, car j'avais fait tant de chemin depuis ! Tant de chemin pour finir dans une allée sans issue...

Les murmures curieux qui s'élevaient autour de moi me ramenèrent contre ma volonté à l'instant présent. Ils devaient s'élever et gonfler depuis un moment déjà, si je ne les remarquai qu'à présent. La plupart des personnes m'entourant avaient interrompues leur travail sur la parcelle, et je croisai le regard soucieux et interrogateur de Rott à quelques mètres de moi. Je balayai lentement mon environnement du regard. J'aurais aimé me remettre simplement au travail, mais tout le monde s'agitait et les uns rejoignaient les autres, rendant la chose impossible, au risque de blesser quelqu'un. Et j'avais fait bien assez de mal comme ça. Je me rendis compte que je ne trouvais Nate nul part, il n'apparaissait pas dans mon champ de vision. Ce qui expliquait l'air inquiet de Rott. Pourtant, il me semblait avoir vu Nate un peu plus tôt, c'est lui qui m'avait donné de l'eau... Mais comment pouvais-je en être certaine ? J'étais constamment déconnectée de la réalité, plus souvent dans mes pensées qu'autre chose. Il était tout à fait probable que je me sois trompée. Je vis Rott poser son outil et se rapprocher de moi. C'était logique. J'étais une âme, comme lui, et au milieu de toute cette agitation, il se sentait sûrement plus rassuré à mes côtés.

- Que se passe-t-il ? Lui demandai-je lorsqu'il arriva à ma hauteur.

Mon estomac se serra lorsque j'entrevis la possibilité d'une nouvelle catastrophe. Laquelle ? Qui ? Comment ? Nous n'allions quand même pas devoir faire face, encore une fois, à une mauvaise nouvelle ? Cette pensée terrifiante ramena un peu de sensibilité et de sensations en moi. La peur hérissa mes poils sur ma peau, et le brouhaha ambiant s'intensifia soudain à mes oreilles, comme si je venais de les déboucher. Rott me regardait d'un drôle d'air.