Chapitre 66

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Il était plus que temps de partir. Nous nous étions trop attardés. Les événements de ces dernières heures m'avaient trop éprouvés, trop ébranlés, mais il était temps de se remettre en route, de penser à ce pour quoi nous avions entrepris cette folle excursion. Il était si facile de se laisser dépasser et distraire par ses émotions... Je m'en voulais.

Un pas en avant. Deux pas en arrière. C'était notre schéma, avec Kyle, je le savais, je pensais l'avoir accepté, et je venais pourtant de prouver le contraire, une fois de plus. Chaque fois je me persuadais que cette fois était la dernière, qu'il n'y aurait pas davantage de souffrance, que cette fois, j'allais me détacher de Kyle, que j'arrêterais d'espérer...

Et chaque fois je replongeais, telle une droguée, telle une addict, avide de son amour, avide de son toucher. La vie n'était qu'une succession des mêmes étapes qui revenaient sans cesse. Un cycle. Et nous étions tous enfermés dans les notre.

Jodi n'avait peut-être pas eu beaucoup de temps sur Terre, mais elle avait pigé bien des choses.

Dans la petite chambre que nous nous apprêtions à quitter, Kyle vérifiait nos sacs et veillait à ce que nous ne laissions rien derrière nous. De mon côté, je ne pouvais supporter de rester dans la même pièce que lui si l'obscurité ne me dissimulait pas. Certes, d'ici moins d'une heure nous serions de nouveau réunis dans la voiture... Mais Kyle n'avait pas failli m'y embrasser.

Je descendis les marches recouvertes de moquette pour me trouver à la réception de l'hôtel. C'était un petit espace un peu étroit, avec des fauteuils coincés contre un mur d'un côté, et un comptoir usé de l'autre, ne laissant qu'une fine bande d'espace au sol, pourtant, le tout était chaleureux, propre et rangé. Un couloir, derrière le comptoir, menait d'après une petite pancarte à des toilettes, mais il n'y avait aucun distributeur. Pourtant, j'avais faim.

Je restais plantée là, un peu désorientée, et réfléchissant à ce que je pouvais faire. M'asseoir dans l'un des fauteuils, peut-être. Ou rejoindre notre véhicule pour y attendre Kyle.

- Excusez-moi, madame ? Vous êtes Celle-Qui-Suit-Son-Coeur, n'est-ce pas ?

Je sursautai, et me retournai pour découvrir le gérant du lieu qui m'observait avec un air soucieux. Ses cheveux blancs semblaient flotter sur sa tête, frisottant légèrement sur son front.

- Je... Oui, oui, c'est bien moi, répondis-je, consciente que je ne pouvais l'ignorer.

- Allez-vous bien ? Vos yeux sont rouges et gonflés...

- Vraiment ? Je veux dire... Non, non, ne vous inquiétez pas. C'est, heu, les allergies. Ce corps y est très sujet. J'ai prévu d'aller voir un soigneur, ne vous en faites pas.

C'était la première fois que j'inventais un mensonge aussi rapidement. Il ne m'était peut-être pas venu immédiatement, mais en quelques secondes, les mots s'étaient échappés de ma bouche. Et je n'en éprouvais pas vraiment de remords. Je m'habituais à mentir. J'aurais du m'en sentir honteuse, ou alors soulagée, mais je ne ressentais plus grand-chose. Ou alors, je ressentais bien trop de choses. Je ne savais pas trop.

L'homme, dont le nom m'échappait, s'était rapproché de moi.

- Ah, je comprends ! Dit-il d'un ton compatissant. «La fille de mon hôte en souffre terriblement aussi. Heureusement, les soigneurs savent formidablement nous soulager. Mais, attendez, laissez-moi mieux vous regarder.... »

J'eus envie de reculer, un peu effrayée. J'avais perdu l'habitude du contact rapproché, dans les grottes. Seul Kyle faisait exception. Mais je ne pouvais esquisser un pas en arrière, comme un animal acculé, cela trahirait quelque chose. L'homme m'observait de nouveau, attentivement. Ses prunelles brillaient avec force, le cercle argenté qui s'y fondait était d'une beauté hypnotisante. Je restais immobile, tentant maladroitement de frotter mes yeux rougis par les larmes, et soudain il s'exclama : «Oui, oui, c'est vous ! »

- Pardon ? Demandai-je, ne comprenant pas son cri de joie.

- Ah, ma petite, que je vous explique ! A la fin de la journée, deux personnes se sont présentées ici. C'était des Traqueurs, je les connais bien, ils me rendent souvent visites, nous sommes bon amis. Enfin, ils m'ont montré une photo, une photo d'une fille qu'ils recherchaient. Et j'en suis certain, maintenant, c'est bien vous ! Je vous avais à peine aperçue lorsque vous êtes arrivée avec votre compagnon, mais je n'ai plus de doutes ! Ah, c'est merveilleux, Suit-Son-Coeur, vous savez, des Traqueurs qui cherchent à vous contacter, c'est souvent une bonne nouvelle ! Ils ont peut-être retrouvé un membre de la famille de votre hôte, qui aimerait reprendre contact avec vous. Pensez-vous, vous allez enfin être réunis !

Mon sang s'était glacé dans mes veines. Mon cœur s'était arrêté, puis était reparti en tambourinant de plus belle dans ma poitrine. Mes lèvres s'étaient serrées, retenant à grand mal un fou rire hystérique, et mes poings s'étaient contractés, mes ongles s'enfonçant dans ma peau. C'était là une des habitudes que j'avais hérité de Jodi.

Des Traqueurs me cherchaient.

Ils me cherchaient moi. Ici. Ce n'était pas anodin.

J'avais été vue. Soupçonnée. Reconnue.

Je n'avais pas été assez prudente, assez douée. J'aurais du me méfier davantage. Si mes prunelles servaient de passeport, mon corps était un aveu. Lorsque Kyle m'avait enlevée, je vivais avec les âmes qui avaient héritées des corps des parents de Jodi. A leurs yeux, je m'étais volatilisée en pleine nuit, et nul doute qu'ils avaient alors signalé ma disparition, que j'avais été activement recherchée.

Cela avait été folie que de croire que suffisamment de temps avait passé, que je ne risquais plus rien.

- Je vais les rappeler tout de suite ! Dit joyeusement l'homme, en me tapotant le bras.

- Non ! Criai-je, un peu trop fort, sans pouvoir me retenir. Non, non, je vous en prie, ne dérangez pas vos amis si tard. Non, ce n'est vraiment pas nécessaire, vraiment impoli, oui. Donnez-moi simplement une adresse, ou un numéro, et dès demain matin je les contacterai moi-même !

Mon empressement sonnait faux à mes oreilles, mais l'homme ne sembla pas s'en étonner. Il griffonna quelques mots sur un morceau de papier, qu'il me remit, et je le remerciai maladroitement. Lorsque je remontai les marches, je dus lutter contre mon envie de courir, de les grimper deux à deux, et une fois à l'étage, je me glissai dans notre chambre à toute allure, sentant que j'allai perdre toute maîtrise de moi-même dans très peu de temps.

Kyle me tournait le dos.

- Ils savent, ils savent, ils m'ont vue, ils m'ont repérée ! Gémis-je, incapable de rester cohérente, les larmes commençant à couler de nouveau sur mes joues.

Kyle se figea, se retourna lentement. Il ne dit pas un mot, il était toujours tendu, il ne semblait pas vouloir s'approcher de moi, mais mon ton l'avait assurément alerté, car de l'inquiétude se discernait dans son regard.

- Les traqueurs ! Ils étaient là. Et ils cherchent après moi !

Les âmes indigènes [Les âmes vagabondes Fanfic]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant