Les âmes indigènes [Les âmes vagabondes Fanfic]

Epilogue: 2/3

Douce-fourrure but une gorgée de son thé, pensive. Devant elle, son ordinateur portable était allumé, son écran faiblement éclairé attendant que sa propriétaire tape sa recherche sur son clavier.

C'était une journée couverte. Le soleil s'était caché derrière les nuages depuis le lever du jour. Son petit Vit'âmes était à l'école et elle avait contemplé le ciel toute la journée à travers sa fenêtre. Elle réfléchissait.

La vie de Douce-Fourrure sur cette planète n'avait jamais été ordinaire. Elle avait débuté sa vie dans un hôte adulte, au tout début de la colonisation de la Terre, passant du monde logique des Araignées à celui, survolté et haut en couleurs, des Humains. Elle s'était par la suite découverte enceinte, et avait donc donné la vie à un petit humain. Elle ne s'était pas attendue à l'aimer à ce point, mais c'était bel et bien ce qui était arrivé, et ainsi son petit était resté humain, était resté lui-même, et Douce-Fourrure avait compris que plus rien ne serait jamais pareil pour elle.

Elle n'avait jamais été une rebelle, bien au contraire. Des épreuves dans ses vies précédentes l'avaient peut- être rendue légèrement différentes de ses comparses, mais elle restait animée par cette soif de paix, d'harmonie, de vie heureuse et calme. Or, la paix et l'harmonie découlaient de l'honnêteté, du respect des règles et d'un grand sens moral, dont les Humains semblaient dépourvus. C'est ce qui avait causé leur perte. C'était du moins ce que Douce-fourrure avait toujours cru, les concernant. Et elle s'était toujours vue comme une citoyenne exemplaire, œuvrant pour le bien commun de son espère. Pourtant, pourtant... N'avait-elle pas une chambre secrète, sans fenêtre, dissimulée dans sa petite maison ? N'élevait-elle pas un petit humain, au lieu de permettre à l'une de ses semblables de découvrir la Terre ? Et, plus récemment, n'avait-elle pas aidé deux fugitifs, un humain adulte résistant, et une âme déracinée, en fracture avec la société des âmes ?

Douce-fourrure reprit une gorgée de son mug. Elle n'avait pas la sensation d'avoir mal fait, au contraire. Rencontrer un humain adulte, même brièvement, avait été une expérience inattendue mais précieuse. Elle aurait pu, et aurait même du, le dénoncer par la suite, mais il y avait cette âme, cette poupée fragile qui l'accompagnait, avec ses yeux déterminés et pourtant plein d'incertitudes et d'hésitation, cette jeune femme qui semblait coupée en deux...

L'humain n'était pas la seule chose qu'avait apporté l'âme -Soleil, un nom doux et lumineux- avec elle. Elle affirmait connaître une autre âme en fuite, une âme que Douce-Fourrure avait rencontré un jour qu'elle était sortie avec Vit'âmes, et qu'il s'était soustrait à sa surveillance. Elle affirmait connaître bien d'autres humains, eux aussi en danger. Elle affirmait avoir besoin d'elle.

Douce-fourrure avait hésité sur la marche à suivre, au début. Et si Soleil était prisonnière de cet humain, ou sous emprise ? Elle avait beaucoup lu sur la psychologie humaine, et avait eu accès à des livres et des travaux très sombres, destinés aux chercheurs uniquement, qui lui avaient fait froid dans le dos. Mais elle avait bien observé cet étrange duo. La façon dont ils se regardaient, dont ils bougeaient inconsciemment l'un par rapport à l'autre... Il y avait de l'amour et une inquiétude sincère dans leurs gestes et dans leurs mots. Maladroitement exprimé, peut-être même caché ou refoulé... Mais l'amour était là. Et Douce-fourrure avait toujours considéré l'amour comme une bénédiction, quelque chose d'extrêmement beau qu'il fallait protéger à tout prix.

Ce qu'elle avait fait. Par la suite, elle avait même eu honte de son hésitation première. Ce n'était pas dans sa nature ! Refuser son aide à ceux qui en avaient besoin aurait été un premier pas vers la déchéance. Elle avait un corps humain, des émotions humaines, des coutumes humaines... Elle avait même un fils humain !Mais elle refusait d'endosser leurs plus viles manières, elle refusait de devenir humaine au point d'en perdre son humanité.

Elle pensait ne plus jamais les revoir. Elle pensait vivre avec ce secret, un concept tellement exotique pour son espèce, jusqu'à la fin de cette vie, ou du moins jusqu'à ce qu'elle se sente capable d'en parler à son petit.

Et voilà que, quelques jours auparavant, ces deux individus, Kyle et Soleil, étaient venus frappés à sa porte pour la seconde fois...

Elle avait immédiatement vu la différence. Les yeux brillants de Kyle, le visage apaisé de Soleil, son bras possessif autour de sa taille, sa petite main dans la sienne... Ils affichaient désormais leur amour sans , pudeur, sans retenue. Soleil rayonnait comme son prénom, Kyle posait sur elle des yeux ardents et incrédules. L'amour.

Une âme et un humain. Unis par le plus pur et le plus universel des sentiments. Un amour enfin pleinement partagé, dans lequel ils pouvaient s'épanouir.

C'était un espoir, un tel espoir pour son petit, pour Vit'âmes...

Ils étaient de nouveau en fuite. Ils avaient de nouveau besoin de son aide. Elle n'avait pas hésité, cette fois. Elle ne les reverrait probablement jamais. Ou pas avant des années.

Et, comme la première fois, ils n'étaient pas venus sans rien. Ils lui avaient offert des informations, des connaissances et de l'espoir, tellement d'espoir ! Ils lui avaient remis des lettres, des lettres écrites par d'autres humains, et par des âmes vivants au milieu de ces humains ! Que de documents compromettants et dangereux, s'ils devaient tomber aux mains des Traqueurs... Mais Soleil avait fait preuve d'une telle confiance, d'une telle foi en lui remettant les précieux papiers. Elle s'en montrerait digne.

En fait, elle ferait plus que cela. Plus que simplement protéger leurs secrets et leur porter assistance au besoin. Plus qu'espérer communiquer à l'occasion avec ces résistants. Quelque chose avait changé au fond d'elle. Douce-fourrure était décidée. Elle avait vue Kyle et Soleil, elle avait lu les lettres qui lui étaient adressées, elle avait longuement réfléchi... Et elle savait quel monde elle voulait laisser à son petit et à ses descendants.

Son regard avait changé. Tout ce qu'elle croyait figé, tout ce en quoi elle croyait dur comme fer... Tout changeait, tout évoluait. C'était terrifiant. Et merveilleux.

Il lui faudrait du temps. Il lui faudrait être prudente, minutieuse, aller à l'encontre de certains de ses principes et tout remettre en question. Mais elle savait, maintenant. Elle se sentait un but, une destinée.

Elles étaient quelques unes, sur cette planète, à élever un enfant humain. Peu nombreuses, mais pas seules. Et, avec ce qu'elle avait récemment appris, elle en était persuadée : D'autres poches de résistances humaines existaient sur cette planète. Et, possiblement, d'autres âmes vagabondes.

D'autres déracinées qui, par amour, avaient rompues avec la société des âmes. D'autres histoires belles et terribles.

Elle était prête, maintenant. Douce-fourrure inspira longuement, puis expira. Elle posa ses doigts sur le clavier. Il lui fallait un point de départ à ce long voyage. Elle commencerait par entrer en contact avec les autres âmes qui élevaient un humain. C'était la partie facile, sûrement la moins dangereuse. Puis, de fil en aiguille, elle tisserait sa toile. Elle sonderait les opinions et les cœurs. Rencontrerait les personnes. Finement, discrètement, pour ne jamais trop en révéler à qui ne se montrerait pas digne de confiance. Mais elle y arriverait.

Pour un monde en véritable harmonie. Pour la richesse qu'apportait la différence. Pour son fils, pour l'amour, pour tant d'autres raisons...

Douce-fourrure allait monter un véritable réseau de résistance à travers la planète entière.