Chapitre 2 ~ Dhattûra

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Les soldats exécutaient des rondes avec des torches, trop fatigués pour nous prêter une réelle attention. J'ai somnolé un moment, puis me suis retournée, le sol irrégulier rendait la position couchée inconfortable. En plus le sol à ma droite était légèrement en pente, ce qui me faisait rouler toujours du même côté. Je me suis demandée si les gens autour de moi dormaient ou s'ils ignoraient mes gesticulations par politesse. J'ai réalisé qu'à force de rouler je m'étais sorti de la file de presque un mètre. J'ai eu peur qu'un soldat arrive et me voit alors j'ai essayé de rouler sur ma gauche pour me rapprocher des autres. Sauf que la pente rendait le mouvement compliqué. Tout à coup, l'idée a germé dans mon esprit comme une mauvaise graine. Il me suffirait de me laisser rouler jusqu'à la lisière de la forêt. Je n'attirerais pas l'attention des soldats et ils ne me verraient pas, j'étais sûre qu'ils ne remarqueraient même pas mon absence avant le lever du jour. Je n'aurais qu'à m'enfoncer dans la forêt et marcher jusqu'au prochain village. De toute façon une femme seule ne valait pas la peine d'être suivie.

Après de longues hésitations j'ai laissé l'apesanteur m'emporter sur quelques mètres puis, avec des mouvements de bassin et d'épaules, j'ai roulé avec plus de vitesse. Très vite j'ai eu la tête qui tournait puis la nausée. Mais le pire c'était la douleur aux côtes qui s'est installée au fil des minutes. J'ai continué à rouler, animée par la peur. La pente était interminable et j'ai fini par regretter mon choix. Jamais je n'arriverai au bout. J'allais me faire poignarder et abandonnée, servir d'exemple pour les prochains qui tenteraient de s'évader. Je n'avais plus conscience ni du temps ni de l'espace lorsque mon corps a perdu de la vitesse. J'étais encore dans l'herbe quand il s'est immobilisé complètement. J'étais comme cloué au sol. Impossible de bouger. Mes bras pesaient des tonnes. Ma tête était sur le point d'exploser, je ne sentais plus mes jambes et une douleur aiguë irradiait mes côtes. Je me suis assise, tremblante. J'étais transpirante, mes vêtements me collaient à la peau. Ma vision était complètement floue. J'avais froid, malgré qu'on soit en plein été, j'avais l'impression que la forêt tournait autour de moi. Je me suis penchée sur le côté et j'ai vomi la bile qui me restait dans le ventre. Je me suis accroupie, vacillante, et suis retombée à genoux. Je ne m'en sortirais jamais. J'ai pris appui sur mes mains ligotées et me suis levée. Ma vision s'était éclaircie et j'ai aperçu l'orée des bois à quelques mètres de moi. J'ai marché - pas droit, certes – jusqu'à entrer dans la forêt. J'avais peur de m'évanouir et j'ai mi les dernières forces qui me restaient pour mettre un pied devant l'autre.

Je n'avais aucune idée du temps écoulé depuis que j'étais entré dans la forêt. Je marchais sans réussir à penser. Un craquement sur le sol me fit m'arrêter net. J'ai tendu l'oreille. La boule de stress est revenue se loger dans mon bas-ventre. Des bruits de pas. M'avaient-ils déjà rattrapé ? Étais-je en train de délirer ? Sans réfléchir, je me suis mise à courir. J'avais l'impression d'être dans un cauchemar. Vous savez, quand vous courrez le plus vite possible mais que vous n'avancez pas, comme si vous étiez au ralenti.

« - Attends » m'a crié une voix aiguë, « On veut t'aider, on est les sentinelles, on suit le cortège pour récupérer les fugitifs. On a un camp à deux jours de marche, tu y seras en sécurité. »

Je me suis retournée et une femme se tenait au côté d'un homme à quelques mètres de moi. Elle avait parlé d'une traite et d'un air essoufflé. Face à ma méfiance elle m'a tendu sa gourde. Je me suis approchée, l'ai attrapé, ouverte, et ai aspiré de grandes goulées d'eau tiède, certainement chauffé par le soleil.

« - Je ne pourrai pas marcher deux jours de plus. » Mieux valait être honnête, je ne me sentais plus capable de rien.

- Quand on se sera suffisamment éloigné on s'arrêtera pour que tu te reposes. » M'a affirmé la femme. « Je vais t'enlever ces liens » Elle a fait un geste vers mes mains tout en sortant un petit couteau. « N'aie pas peur ». J'ai détaillé son visage pendant qu'elle sciait la corde. Il était fin, long, légèrement ridé. Elle avait une silhouette longiligne et sportive. Pourtant, un air fatigué lui collait à la peau. L'homme restait en retrait, grand, bien bâti, il était plus jeune que la femme, à peu près mon âge.

« - Comment tu t'appelles ? »

Que dire ? Pouvais-je leur faire confiance ? Et si l'empire apprenait mon prénom et qu'il retrouvait ma famille pour la punir ?

« - Dhattûra, et vous ?

- Kara, et lui, c'est Elban » Elle s'est retournée et lui a fait signe de venir. Il s'est avancé et m'a tendu la main.

« - Enchanté. »

Je lui ai souri car je ne savais pas quoi dire, Et si c'était un piège ? Désormais je n'avais plus le luxe de pouvoir être naïve.

« - On y va, on ne peut pas s'éterniser ici » Nous a annoncés Kara en se mettant en route.

Elban lui a emboîté le pas, moi je les ai suivis en gardant une certaine distance. Pensant à mes pauvres pieds, à mon estomac qui n'était plus qu'un énorme trou et à ma soif que je n'avais pas osé étancher tout à l'heure de peur de ne plus laisser d'eau aux deux autres. Il faisait à présent entièrement jour. Mes camarades de marche m'avaient distancé de plusieurs mètres. Je n'arrivais plus à soutenir leurs rythmes. J'ai commencé par avoir mal au ventre, sauf que ce n'était pas la faim, j'avais envie de vomir. Puis mes poignets sont devenus tout mous, et tout à coup, ma vision était encombrée d'un filtre blanc comme s'il y avait de la buée. J'ai voulu parler mais je n'ai fait que murmurer « attendez... » Tout est devenu blanc, j'ai essayé de me raccrocher au vide mais je me suis sentie partir en arrière. Et là plus rien. C'était le néant.

Il y avait un visage au-dessus de moi, un inconnu. Je n'avais pas la force d'avoir peur. L'inconnu m'a soulevé alors que je me débattais faiblement.

« - C'est moi, c'est Elban »

Tout m'est revenu d'un coup. Il était en train de me porter, la honte... mais impossible de bouger ne serait-ce que le petit doigt. Il avait une odeur masculine, pourtant, il ne sentait pas la transpiration. Moi, je devais puer, en plus il devait me trouver lourde. Un bras sous mes jambes et un autre dans mon dos il a fini par me déposer à terre. J'écoutais le clapotis d'un ruisseau. L'air sentait le sous-bois humide. La forêt était moins épaisse et de la mousse vert pomme s'étendait sur le sol.

« - Tu es diabétique ? » Kara semblait préoccupée.

« - Non... Enfin je ne crois pas. Mais je n'ai pas mangé depuis hier matin.

- Tiens, on a des fruits secs et du saucisson, mange lentement. On va se reposer un moment. Essaie de dormir, on te réveillera dans un moment pour repartir. »

Aux premières bouchées, mon ventre s'est contracté, j'avais super faim pourtant impossible d'avaler grand-chose. Je me suis couché sur le sol humide de la forêt et j'ai dormi sans me poser de questions. Je crois que Kara et Elban avaient gagné ma confiance.

DhattûraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant