Chapitre 13 ~ Dhattûra

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Nous avons fait une halte d'une nuit à Touré avant de repartir. Les gens pauvres de Touré n'avaient pas de cheval et nous avons décidé d'échanger nos montures avec eux à la moitié du chemin. Plus loin, nous avons aperçu la silhouette de Tarme qui se dessinait au loin mais nous avons continué à longer la rivière. Nous sommes entrés dans la forêt, le chemin pour aller jusqu'au campement était étroit et j'avais peur que les charrettes ne passent pas. Je suis descendue d'Hérésie pour faire monter une femme à ma place. Elban et Jenna ont fait pareil et j'en ai profité pour guider les chevaux et leurs cargaisons entre les arbres, jetant de temps en temps un coup d'œil à Hérésie pour vérifier qu'elle se tenait tranquille. Nous sommes arrivés le soir. En voyant les charrettes remplies de gros sacs, les gens se sont mis à crier puis applaudir. Les fermiers, de vieux amis nés dans le même village, ont soulevé leur chapeau de paille, souriant à en dévoiler leurs dents jaunes. Heureux de rendre heureux, heureux d'être accepté et de se sentir utile. Un instant merveilleux. La joie était communicative, j'ai ri plusieurs minutes ce soir-là en débarrassent les charrettes des sacs remplie de nourriture. J'ai ri jusqu'à ce qu'une main me frôle les fesses, je me suis retournée d'un coup et me suis retrouvée face à Elban qui me regardait avec insolence. Le rouge m'est monté aux joues alors qu'il a continué à porter les sacs ignorant ma réaction. J'ai été dérangée par son geste. D'habitude, son contact ne me gênait pas mais là c'était différent. Nous avons fini de stocker la nourriture dans une petite cabane près du moulin alors que les questions se bousculaient dans mon esprit. Avais-je été gênée par son geste ou par ma réaction ? Pourquoi je ne lui avais rien dit ? Je me sentais coupable, mais de quoi ? De ne pas aimer se contacte ou au contraire de l'aimer sans l'assumer ? Ma bonne humeur était partie.

Elban est allé alerter Javis de la mise en garde que l'on avait reçu du peuple et a demandé à Jenna de faire pareil pour prévenir le chef des Rebelles.

« - Il le sait déjà, ce n'est pas pour rien qu'il se cache. » A répondu Jenna

« - Il se cache ? » J'ai demandé, « il était venu à la fête pourtant. »

« - Bein oui, tu pensais qu'il faisait quoi dans une maisonnette au milieu du bois ?

- Oui, c'est vrai, mais s'il se cache, pourquoi tout le monde sait où il est ?

- Pas tout le monde et il a plusieurs cachettes. Toi, c'était une urgence que tu le vois, enfin d'après Tangav...

- Mais pourquoi tu étais avec lui dans la maisonnette ? »

Jenna m'a regardé avec un petit sourire puis a baissé les yeux. Elban l'a regardé avec intérêt, un peu trop d'intérêt.

« - Parce que c'est mon père.

- Ha... » Que répondre ? Alors j'ai dit : « Fais attention alors, tu es une cible pour Irnoé. »

J'ai eu peur pour mon amie ce jour-là. Je me suis rendu compte que je l'aimais réellement, bien plus que ce que j'aurais voulu admettre. Mon regard a glissé vers Elban. J'étais perdue avec lui, son image était parfaite. Mais parfois, il m'énervait.

~ Ismaïr ~

Mon père n'avait pas paru particulièrement content des nouvelles que je lui avais rapportées de mon expédition. Thysléem était sous tension et des soulèvements avaient parfois lieu. Il venait de me donner l'adresse d'une maison.

« - L'homme de cette maison a eu un rôle important dans les derniers soulèvements. Je veux que tu l'arrêtes et que tu le mettes en prison. Dit à sa famille qu'il y restera un certain temps, je n'ai pas encore décidé combien. Met le dans une cellule seule, je ne veux pas qu'il crée une révolte dans la prison. Tu sais pourquoi je t'envoie toi et pas un des soldats ?

- Non, pourquoi ?

- Parce que je ne veux pas l'abîmer dès maintenant, il faut qu'il soit de bonne foi pour son interrogatoire. Il doit bien savoir des choses.

- Ok, compte sur moi.

- N'y vas pas seul, il pourrait se défendre. Et fait attention à toi !

- Bien sûr papa. » J'ai soupiré.

J'ai choisi deux soldats que je savais calme et ai ouvert le petit papier contenant l'adresse que m'avait donné mon père :

Quartier Ouest

Rue D'alligo

Maison 48

Goénam Hanok

Je me suis dirigé vers le quartier ouest en ouvrant une carte de la ville. Les gens me regardaient à la volée puis s'écartaient comme si j'allais les brûler. J'ai redressé la tête. La puissance est lourde à porter, c'est un fils d'empereur qui vous le dit. J'ai déambulé dans le quartier en cherchant des yeux la rue D'alligo. Elles étaient mal indiquées mais grâce à ma carte mais j'ai fini par trouver la ruelle. J'y ai pénétré suivit de mes hommes. L'odeur était nauséabonde. Les gens du peuple s'y habituaient-ils ? Maison 48. Je me suis arrêté devant la vielle maison. J'ai toqué à la porte. Une femme au visage fatigué m'a ouvert.

« - Bonjour... Vous voulez quoi ?

- Bonjour Madame, je viens parler à Goénam. Il est là ?

- Vous êtes soldat ? Pourquoi vous voulez lui parler ? »

Soit elle voulait gagner du temps soit cette bonne femme était sénile, personne n'ignorait les habits que portaient les soldats encore moins ceux réservés à l'armoirie Girzen.

« - Laissez-moi entrer madame, vous avez déjà suffisamment de problème comme ça. » J'ai fait mine de pousser la porte. Elle s'est écartée puis s'est retournée pour cacher les larmes qui menaçaient de dévaler ses joues. J'ai eu un pincement au cœur, elle avait choisi le mauvais mari. Autour de la petite table, il y avait quatre chaises. Sur l'une d'elles, un homme était assis. La peau tannée par le soleil, le dos voûté, il me regardait droit dans les yeux. Il s'est levé pour se poster devant moi.

« - Goénam Hanok, je vous arrête pour incitation à la révolte et trouble à l'ordre public. »

Goénam a souri tristement à sa femme. Les rides autour de sa bouches ont formé des sillons.

« - Je t'aime Dolma, dis aux enfants que je les aime aussi.

- Combien de temps il sera incarcéré ? » M'a demandé la supposée Dolma d'une voix vacillante.

Je voyais la détresse dans ses yeux. Mauvais mari ou mauvais gouvernement ? Mais un gouvernement sans révolte n'existe pas m'aurait dit mon père.

« - Je ne sais pas désoler. »

Je suis reparti comme je suis entré, mais avec le cœur plus lourd, et une pointe de culpabilité logée dans le ventre. Pendant le retour, je me suis convaincu que ce n'était pas ma faute mais bien la faute à l'homme que je tenais ligoté devant moi. J'étais pressé d'interroger ce Goénam et j'étais sûr que mon père accepterait que je le fasse.   

DhattûraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant