Chapitre 7 ~ Dhattûra

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Nous n'avons pris qu'un jour et demi à rentrer. Elban n'avait pas l'air à l'aise mais ne laissait rien paraître. Le lendemain en fin d'après-midi, le campement était en vue. Les Évadés nous accueillirent avec entrain. J'étais partagée entre la gêne et la fierté. À côté de l'enclos des ânes, un deuxième enclos plus grand avait été construit. J'ai déchargé les chevaux qui avaient transporté le matériel, j'ai vérifié leurs états puis je les ai laissés faire connaissance avec leur nouveau terrain. Un repas avait été organisé le soir pour célébrer notre retour. Si les chevaux étaient si utiles je ne comprenais pas pourquoi Javis avait été si difficile à convaincre. Ce soir-là je me suis enfin senti incluse et vraiment chez moi. J'avais trouvé ma place.

Le temps passa vite et chaque jour la peine d'être séparé de ma famille s'adoucissait. J'avais peur de me résigner à ne jamais les revoir. Qu'étaient devenus ma sœur et mon frère ? Pourquoi était-ce tombé sur moi ? Pourquoi moi j'étais libre et pas elle ? Quand je me regardais dans la rivière, l'eau reflétait son image. Ma sœur. J'étais contente de pouvoir prendre soin de Granite. Elle devait terriblement s'inquiéter. Pour sa pouliche et sûrement pour moi. Ma famille me croyait-elle morte ? Finalement ce n'était pas si mal que ce soit tombé sur moi. Ma sœur pourra consoler ma mère, elles étaient si proches. Ma sœur était du genre parfait. La fierté de la famille. Un caractère fort et un charme à la hauteur de son caractère. Moi j'étais différente.

J'ai gagné la confiance de Javis grâce à mon travail avec les chevaux. Je les préparais à être cheval de sentinelle. Même Elban avait fini par arrêter d'être distant.

Deux semaines après mon arrivée, un groupe de Rebelles se manifesta dans les environs. Ils y eu plusieurs altercations avec des sentinelles sans que Javis ne considère qu'il faille agir.

Un matin je suis allée au bord de la rivière, là où elle est peu profonde, pour entraîner Hérésie – que j'avais du mal à appeler Hérésie – à traverser l'étendue d'eau mouvante sans hésiter. À pied, j'incitais celle-ci à me suivre sans que je doive exercer une forte traction sur la longe. Je m'étais enfoncée dans l'eau au côté de ma pouliche lorsque des paysans arrivèrent. J'ai décidé de les ignorer pour ne pas attirer leur attention mais ils sont immédiatement venus à ma rencontre. Je leur ai adressé un sourire crispé tout en pensant que j'étais trop loin du camp pour obtenir de l'aide en cas de besoin.

« - Hé jeune fille, tu fais partie de cette bande de mauviette qui se terre dans la forêt à la place d'essayer de changer les choses ? »

J'ai arrêté de sourire.

« - Cette bande m'a offert un toit alors que j'avais perdu ma famille. Auriez-vous fait pareil ?

- Oui si tu avais été prête à agir contre le gouvernement à la place de t'en cacher.

Tout à coup j'ai compris. Ce n'étaient pas des paysans. C'était les Rebelles. Les battements de mon cœur ont accélérés. Peur, colère, ou joie ? En tout cas j'étais sur mes gardes.

- Il y a des conditions alors. Ce n'est pas de la charité. Des conditions et aucune bienveillance. On racontait dans mon village que vous pillez les réserves des bons citoyens.

- Si on pille les réserves les impôts baissent, Irnoé cesse de s'enrichir et le gouvernement perd du pouvoir. Et si on ne fait rien qu'est-ce qu'il se passe ?

- On devient des mauviettes terrées dans la forêt. » A rajouté l'un des hommes. Ils ont ri. J'ai levé les yeux au ciel sans cacher mon agacement. Pourtant une partie de moi pensait qu'ils n'avaient pas tort. À ne rien faire on n'obtient rien. D'un autre côté, piller les gens les appauvrissaient et les impôts ne servaient pas qu'à l'enrichissement de la famille Girzen. Je me souviens d'une vieille veuve dans mon village, les soldats venaient régulièrement lui donner une bourse. Ma mère nous avait expliqué à moi et ma sœur que si elle vivait c'était grâce à nous tous, grâce aux impôts. Sauf que si j'acceptais ce gouvernement et que je restais passive je ne retrouverai jamais ma famille. Il me fallait un moyen de les sortir de Thysléem.

« - Viens avec nous petite, on t'apprendra le maniement des armes et à œuvrer pour une bonne cause. »

Serais-je capable de partir avec eux ? Étais-je prête à abandonner ceux qui m'avaient recueilli ?

Non, la véritable question était : Qui est-ce que je voulais devenir ? Quelqu'un de passif ? non. Quelqu'un de violent ? non plus. Je voulais être à la fois Évadée et Rebelle. Ne prendre que les bons côtés. Je voulais agir sans violence, créer du changement sans souffrance. Mon esprit se balançait avec incertitude entre les choix qui s'offraient a moi. Si mon signe astrologique était balance ce n'était pas pour rien.

« - Vous êtes combien ? Vous vivez ou ? » Ils avaient piqué ma curiosité, je me posais ces questions depuis si longtemps.

« - Une soixantaine à présent. On n'a pas d'endroit fixe. On se déplace. On est libres, nous. »

J'ai souri à la pique. Bourru mais pas méchant le paysan.

« - Revenez demain matin. Je dois réfléchir. »

Ils ont acquiescé. « Bonsoir petite » ils ont fait demi-tour et se sont éloignés. Une drôle de sensation m'a envahie. Étaient-ils en train de me manipuler pour m'enrôler dans leur cause, ou avais-je trouvé la porte de l'espérance qui menait a ma famille et au monde que je rêvais de bâtir ?

J'ai continué à faire passer Datura - pardon Hérésie - dans l'eau jusqu'à ce qu'elle marche à mes côtés sans que je n'ai besoin de tirer sur la longe pour la persuader d'avancer. Je n'arrivais plus à me concentrer et ressassais ma conversation avec les Rebelles. J'ai expiré bruyamment, je me sentais perdue. Je me suis positionnée à côté de ma pouliche, ai attrapé la crinière et ai jeté une jambe par-dessus son dos, avec le creux de mon genou je me suis hissée sur son dos. J'ai voulu traverser une dernière fois la rivière en étant sur ma monture et non à ses côtés mais cette fois-ci, la pouliche à refusé d'avancer.

« - Allééé, tu viens d'y entrer... »

J'ai resserré mes jambes autour de ses flancs. Elle a piétiné la terre vaseuse, a essayé de faire demi-tour et a fini par mettre un sabot, puis deux dans l'eau brune. Elle s'est hâtée de traverser dans un sens et dans l'autre en soupirant à chaque arrivée sur la berge. Nous sommes rentrées en trottinant parce qu'elle refusait de rester au pas.

Je devais parler à Elban. J'avais une idée derrière la tête, et il m'aiderait sûrement à convaincre Javis.

J'ai relâché Hérésie dans son enclos et suis partie chercher Elban. Les conversations sérieuses avec lui étaient très délicates. Alors que je réfléchissais à comment aborder le sujet sans entrer en conflit il est apparu au côté de Mia, une de ses amies. Mia, en plus d'être sentinelle était aussi l'une des plus jolies filles du camp. Tout à coup, j'ai perdu toutes envie de parler à Elban. Je n'étais pas de nature jalouse et n'avais aucune raison de l'être pourtant les voir ensemble m'agaçait. Mia était du genre parfaite. Son seul défaut était la suffisance avec laquelle elle traitait tout le monde. Un air hautain qui lui donnait l'apparence d'être au-dessus des autres. Bon, c'était peut-être sa beauté qui lui donnait cet air.

Sans réfléchir, j'ai tourné les talons. Finalement, je n'avais plus besoin d'Elban.

DhattûraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant