Chapitre 5 ~ Ismaïr

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C'était la honte; un de mes soldats venait de m'apprendre qu'une femme s'était échappée durant la nuit. J'étais allé sur place et il se révélait manquer la fille qui m'avait regardé dans les yeux et à qui j'avais souri hier matin. Elle m'avait paru d'un calme incroyable, sans aucune trace de peur dans ses pupilles. A la place ou elle aurait dû être allongée se trouvait un large sillon d'herbe aplati. Le sillon descendait la colline de tout son long, j'ai fait quelques pas puis ai croisé les mains au-dessus de ma tête. La honte a cédé la place à la colère. Mais qu'allais-je dire à mon père. Il m'avait autorisé à être sur le terrain, m'avait offert la chance de pouvoir commander une des plus grandes opérations de rapatriement de villageois. Tout s'était déroulé sans failles et le cortège faisait plusieurs centaines de mètres. L'expédition devait être une totale réussite. Mais voilà qu'hier trois hommes avaient dû être abattus pour tentative de fuite et refus d'obtempérer. Ce matin une fille était partie sous le nez de mes soldats qui n'avaient rien vu. Partie en roulant... mais comment annoncer ce bilan à mon père. Et comment pouvait-on décider de s'enfuir en roulant ?! Seul quatre pertes, c'était peu. Mais mon ego en avait pris un coup. Cette fille m'avait souri avec indulgence. Moi soldat, on ne me sourit jamais. Je me suis sentie trahit. Pourquoi m'avait elle sourit si c'était pour s'échapper ? Cela n'avait pas semblé hautain, ni ironique. J'avais presque envie de la poursuivre pour lui montrer que moi, Ismaïr Girzen, on ne me défie pas. Mais ça aurait été lui accorder trop d'importance. Nous avons repris la marche en redoublant de vigilance. J'étais fatigué et sur les nerfs. Pressé d'arriver et de retrouver mon lit en plumes et un bain chaud. Alors que je marchais, je me rappelais son regard. Il s'était imprimé dans mon crâne. Je n'arrivais pas à penser à autre chose. Après avoir dévalé une pente de deux cents mètres en roulant elle devait être blessée. Peut-être qu'elle était bloquée dans les ronces les mains liées. Étonnamment je n'avais pas envie qu'elle meurt, elle forçait l'admiration.

Nous avons intensifié le rythme et sommes arrivés la nuit à Thysléem. Je me suis senti un peu coupable pour les enfants, exténués, ils ne tenaient plus debout. Sur la place publique les familles séparées furent regroupées et un foyer leur fut attribué. Je n'ai pas pris part aux festivités et ai décidé de rentrer dormir. Comme le peuple ne me regardait jamais dans les yeux et s'écartait sur mon passage, j'ai traversé la ville en effervescence sans difficulté. J'ai salué les gardes postés à l'entrée de ma demeure d'un hochement de tête. Ils étaient là les jours de fête et ceux de rapatriement en cas de débordement. Le plus discrètement possible j'ai monté les escaliers menant à l'étage de ma chambre en songeant à l'avenir de ma ville – et au fait que je ne voulais absolument pas croiser mon père avant une bonne nuit de sommeil.

Thysléem était grande et lentement, elle reprenait vie. Le programme de repeuplement forcé fonctionnait à merveille. Les révoltes diminuaient et peu à peu le peuple y trouvait son compte. Mon père m'avait expliqué tous ses plans. Autrefois la cité était d'une grande ampleur. À présent il fallait consolider le peuple. Irnoé Girzen deviendrait invincible. J'ai accéléré le pas en entendant du bruit dans la chambre de mon père. Pourvu qu'il ne sorte pas...

« - Ismaïr, mon fils. Comment c'est passé le voyage ? »

Ho non, je crois que les esprit sont devenus sourd. Je me suis tourné vers mon paternel en arborant un visage impassible.

- Papa, tout s'est bien passé. » J'ai répondu évasivement je n'avais aucune envie de faire le compte rendu à mon père. Irnoé était un homme strict. Il aimait l'ordre et le contrôle. Il m'avait élevé à son image, pourtant ne paraissait jamais convaincu de la qualité de mon travail.

« - Dit-m'en plus. J'attendais ton retour. Tu iras dormir après. Il faut toujours finir ce qu'on commence. »

Je me suis appliqué à ravaler ma flemme et à lui raconter l'expédition le plus justement possible. Pourtant j'ai omis d'expliquer comment Dhattûra s'était échappée. En fait je n'ai même pas prononcé son prénom. J'avais à la fois le sentiment de la protéger et de mentir à mon père. Quand Irnoé retrouve un traître il le fait exécuter. Ne pas donner l'identité de Dhattûra lui laisserait une chance de survie.

Étonnamment mon père a paru fier. À la fin de mon récit il m'a pris dans ces bras.

« - Ha mon fils... Je ne t'ai pas nommé seigneur de Thyslée pour rien. Un jour tu prendras ma place. Ton avenir est grand Ismaïr, ne l'oublie jamais. »

J'étais ému, touché. Mon père croyait en moi. Ces mots me permettaient d'avoir confiance en mon destin, confiance en lui, confiance en moi. Ce jour-là je me suis couché serein, pressé d'être le lendemain.

~ Dhattûra ~

Je me suis réveillée un peu perdue. Il fallait que je fasse quelque chose mais quoi ? Je me suis habillée puis suis allé à la place centrale pour déjeuner. J'y ai croisé Javis. C'est ce qui m'a rappelé notre discussion de la veille. Je devais lui parler. Je devais absolument réussir à le convaincre de me laisser repartir. Je ne pouvais pas abandonner les chevaux. Je refuse de m'en séparer.

J'ai abordé le sujet avec prudence mais la véhémence dans ma voix devait s'entendre car la discussion est très vite devenue houleuse. Nous marchions sur des œufs. Être agacée sans le montrer, ne pas agacer l'autre, rester calme... Elban est arrivé au bon moment. Miraculeusement, il a surgi derrière moi et a proposé de m'accompagner. La surprise devait se lire sur mon visage et sur celui de Javis mais le jeune homme a feint l'indifférence. Elban a servi à Javis les mêmes arguments que moi mais ils n'ont pas eu les mêmes effets. Javis a très vite fini par acquiescer, c'était étrange. Lorsque nous nous sommes séparés, je crois que nous étions les trois satisfait de l'accord. Nous partirions le lendemain à l'aube. Elban allait préparer un sac de vivres, moi j'allais devoir recoudre des vêtements toute la journée.

C'est à la fraîcheur de l'aube que nous avons enfilé nos sacs sur nos épaules. Elban était habitué à quitter régulièrement le campement puisqu'il était sentinelle. Les adieux furent courts. Notre départ passa presque inaperçu.

Nous avions deux jours de marche j'ai lancé un sujet de discussion à la fois par intérêt et pour faire passer le temps.

« - Comment tu es devenu sentinelle ? »

Il m'a regardé, a souri, puis a répondu :

« - À chaque arrivant on attribue un domaine. Le mien c'était l'agriculture. J'ai demandé a passer des tests d'aptitude pour être sentinelle parce que je n'aime pas rester toujours au même endroit. Je m'ennuyais. Et surtout, j'aime l'adrénaline, le risque, tout ça... »

Stylé, je me suis dit. En plus, on avait quelques points en commun tous les deux.

« - Comment tu es arrivé là ? Chez les Évadés je veux dire.

- On ne parle pas de ça. Imagine l'un de nous se fait choper et torturer. On ne parle pas de nos vies d'avant pour ne pas risquer de se faire balancer ou de balancer les autres. » Il avait parlé d'un ton monocorde.

Voilà qui diminuait fortement les possibilités de discussions. Ils me saoulaient avec leurs règles, mais pour ne pas envenimer les choses je n'ai rien dit. J'avais l'impression de tout faire de travers avec Elban.

« - Tu penses quoi du nouveau gouvernement ? » J'ai lancé pour faire rebondir le fétus de discussion.

- C'est la merde. Pas qu'à Thysléem, les villages sont aussi touchés mais le pire c'est que personne ne fait rien. Je ne comprends pas comment les cités des alentour acceptent ce qui se passe. Irnoé Girzen a mis la Thyslée à feu et à sang. Si j'avais l'occasion de le tuer je le ferais sans hésiter. »

J'ai été surprise par la rage que dégageait mon coéquipier. Souhaiter la mort de quelqu'un me paraissait incorrect. À nouveau j'ai pris sur moi et ai continué la conversation. Grâce à lui, je pouvais aller récupérer ce qu'il me restait de ma vie d'il y a deux jours. À moi de soigner la relation pour que tout se passe bien. M'opposer à sa façon de penser n'était pas la chose à faire. Je me suis demandée ce qui avait bien pu attiser la haine qu'Elban traînait derrière lui. Qu'avait-il bien pu vivre ?

DhattûraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant