Chapitre 3 ~ Dhattûra

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Une main grande et chaude posée sur mon bras m'a réveillé. Le soleil était haut dans le ciel et la chaleur pesante. Elban m'a expliqué que nous allions repartir mais qu'avant je pouvais me laver dans le ruisseau. Il ne fallait juste pas que je m'éloigne trop. Gênée, je me suis écartée jusqu'à ne plus les voir, j'ai rapidement enlevé mes habits, et suis entrée dans le ruisseau. L'eau était froide mais elle m'a fait un bien fou. Comme elle m'arrivait aux cuisses et je me suis immédiatement accroupie dedans. J'ai laissé l'eau dissoudre ma douleur. J'ai frotté mon corps aussi bien pour le décrasser que pour le réchauffer. Quand je suis sortie j'ai attrapé mes habits. Ils étaient dégoûtants, tout humides. Finalement je les ai plongés dans l'eau et les ai frottés eux aussi, puis je les ai essorés et enfilés encore tout trempés.

Kara et Elban m'ont regardé étrangement quand je suis revenue.

« - Tu aurais pu enlever tes habits pour te baigner. » M'a fait remarquer Kara en fronçant les sourcils.

- C'est ce que j'ai fait mais après je les ai lavés.

- Tu vas avoir froid. » A répliqué Elban avec dureté.

Était-ce de l'agacement ? Ne pouvaient-ils pas essayer de me comprendre ?

« - Je me sentais sale. » J'ai rétorqué en le regardant droit dans les yeux.

Elban m'a tendu de l'eau et des fruits secs avec une certaine distance. Je l'ai remercié avec froideur. Nous sommes repartis en silence. J'ai pensé à ma famille, j'espérais qu'ils étaient réunis. Et les animaux de la ferme, je ne me faisais pas de souci pour le chat mais mes pauvres poules ne tiendraient pas longtemps sans abris contre les renards. J'espérais que les voisins s'occuperaient des chèvres, du chevreau de l'année et des 4 poulains. Quant à mon poulain, cadeau de mon père, j'étais tout à fait décidée à aller le récupérer. En espérant, que les esprits m'en préservent, que les soldats de l'empereur ne l'aient pas pris lui aussi. J'ai songé à mon père, si fière de m'apprendre ses techniques de dressage. Il les avait acquis en voyagent. Mon père avait traversé la chaîne de montagne Sinéa. Là-bas, tout était différent m'avait-il raconté. La paix est cultivée autant que le blé, la bienveillance est une norme. Les méthodes de dressage sont douces, calmes. Derrière Sinéa, il y a la sérénité. C'est de là que vient le nom de la montagne m'avait-il conté. Ma mère, elle, cultivait la terre. Depuis toute petite, je suis persuadée que mes légumes n'ont pas le même goût que les autres, quant à son fromage, si vous ne l'avez pas goûté, vous n'avez pas réellement vécu. Mes pauvres parents. Étaient-ils en chemin pour Thysléem, la capitale ? On raconte que lorsque l'on pénètre dans Thysléem on n'en sort plus. Des gardes veillent sur les quatre portes de la cité. Les gens ne travaillent que pour le gouvernement. Au nom de la sécurité Irnoé Girzen se permet tout. Les gens vivent dans la pauvreté, la liberté n'existe plus. L'empereur raconte que pour que chacun ait un toit il faut se soutenir. Mais le peuple est réprimé. Moi je préfère vivre dehors qu'en prison, car c'est ce que représente Thysléem. Une prison à vie.

Nous avons marché longtemps sans s'échanger un mot. J'étais à bout de souffle, à bout d'énergie, à bout de tout en fait. La nuit est tombée, l'air s'est rafraîchi. Nous avons continué à marcher. Nous nous sommes arrêtés pour dormir un court moment puis nous avons marché toute la journée du lendemain.

J'ai commencé par entendre du bruit. Il y avait des gens, là-bas derrière les arbres. Elban, c'est retourné et m'a dit :

« - Nous sommes arrivés. »

Cette fois-ci, il m'a souri, il semblait autant soulagé que moi. Je me suis arrêtée, stupéfaite. Ils étaient beaucoup. Dans une immense clairière s'étendait un petit village construit en bois et en terre. Alors que nous nous approchions les gens nous observaient en souriant. Nous nous sommes engagés dans une allée qui contenait un écriteau « Allé Est ». Plusieurs personnes m'ont souhaité la bienvenue. Les minuscules cabanes étaient disposées en cercle par colonne. Les allées menaient toutes à un large abri qui avait dû être créé pour les animaux mais où avaient été disposés des tables, des chaises, des canapés et des coussins. Plus on s'éloignait du centre plus les cabanes avaient l'air grandes et confortables. En dévisagent chaque personne j'ai remarqué qu'il y avait une grande majorité d'hommes, aucun enfant ni personnes âgées. De grands bidons d'eau étaient stockés au centre de l'abri. Un homme s'est approché, je devais lui arriver en dessous des épaules, il avait un sourire confiant, une peau foncée et des cheveux lui tombant sur les épaules.

« - Bonjours et bienvenue, je m'appelle Javis.

- Enchantée Dhattûra. » J'ai souri et lui ai tendu la main. C'était le genre de personne avec qui l'on se sentait en confiance, du style à mettre à l'aise directement. Alors qu'il me serrait fermement la main mes compagnons de routes lui ont souri avec réserve, son autorité naturelle n'était donc pas si naturelle. Il devait avoir un statut important dans le village.

« - Je suis le chef des Évadés, je vais te présenter notre fonctionnement et le rôle que tu auras. » Je me suis rappelée mon père, lorsque j'étais petite m'expliquant la différence entre un chef et un leader dans un groupe de chevaux. Automatiquement ma méfiance est remontée en flèche, il pensait que j'allais avoir un rôle ? Il avait oublié de me demander mon avis... J'avais besoin d'aide, je ne pouvais l'oublier, mais que l'on m'impose une place et j'irai trouver de l'aide ailleurs.

« - En quoi consiste faire partie des Évadés ? » Je ne m'étais pas incluse, je voulais subtilement lui faire comprendre que je ne faisais pas partie des leurs. Il a haussé un sourcil, m'a souri puis s'est lancé :

- Nous sommes un rassemblement de gens qui ne sont pas en accord avec les principes de Girzen. Nous refusons le style de vie qu'il impose et nous avons eu le courage de défier le gouvernement et de commencer une nouvelle vie ailleurs. »

Thysléem, la seule ville dont le peuple était tellement réprimé qu'un départ revenait à une fuite et était considéré comme une trahison faite à l'empereur. J'ai réfléchi et au vu de la situation, il valait mieux mettre mon ego de côté. Que je le veuille ou non je faisais partie des Évadés puisque j'avais fui. Je n'avais nulle part où aller et surtout personne sur qui compter. Maintenant que mon nom avait été écrit dans le registre, plus personne de mon village ne pouvait me venir en aide sans risquer d'être considéré comme un traître et jeté en prison. On dit que les cachots de Thysléem sont tellement remplis que même les souris n'y entrent pas. Et que pour l'empereur la mort est devenue une résolution banale aux problèmes. Mon unique chance de revoir un jour ma famille était d'accepter la place que l'on m'attribuait.

DhattûraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant