La relève

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Emmy sourit en quittant la propriété. Elle qui était juste venue défendre l'honneur de sa mère venait de gagner un emploi. Elle était pressée de pouvoir l'annoncer à sa mère. En rentrant, elle passa par le marché. D'habitude elle y allait uniquement en fin de marché pour y récupérer des aliments avariés ou invendables. Mais elle savait que Roger, qu'elle avait l'habitude d'appeler Oncle Roger, un petit vendeur de fruits leur donnait de temps en temps un ou deux kilos de fruits frais gratuitement.

 — Emmy, Emmy, Emmy, ma belle, comment te portes-tu ? 

— Je vais bien, Oncle Roger. Devine ce qui m'est arrivé aujourd'hui ? 

Il l'observa de la tête aux pieds.

— Hum, je ne sais pas. Tu as acheté une nouvelle robe ? suggéra-t-il.

— Mais non mon oncle ! Je viens d'avoir un travail.

Celui-ci lui sourit, ravi pour sa petite protégée.

— Eh bien, ça se fête ma petite Emmy. Choisis tout ce que tu veux sur ce stand, je te l'offre.

Elle avait les yeux pétillants d'excitation en regardant l'immense étalage de fruits frais. Elle déambula de droite à gauche du stand avant de porter son choix sur deux bananes et une pomme.

— Emmy, trésor, j'aurais demandé à n'importe quel client de ce marché de prendre tout ce qu'il voulait, il aurait dévalisé le stand. Toi, qui n'as déjà pas grand-chose pour vivre, tu te contentes simplement d'une pomme et de deux bananes ! 

— C'est déjà beaucoup pour nous, Oncle Roger. On va pouvoir avoir une vraie salade de fruits.

Il lui prit les fruits des mains et les glissa dans un sachet en papier. Il y ajouta une barquette de fraises, trois oranges, un ananas et quatre abricots avant de les tendre à Emmy. Elle en avait les larmes aux yeux. Elle serra Roger dans ses bras fortement en le remerciant.

— Un jour prochain, je pourrai t'acheter tes fruits, tu ne seras plus obligé de me les donner.

— Je ne suis pas obligé. Toi et ta mère vous êtes de belles et bonnes personnes et ça me fait plaisir de vous aider du mieux que je peux. 

Elle le remercia à nouveau avant de regagner la cabane. Sa mère était allongée sur son tapis, les yeux clos. Emmy s'approcha d'elle doucement et lui replaça une mèche derrière l'oreille. Caroline bougea sans se réveiller. Emmy alla ranger les fruits dans un gros bol à salade en plastique. Elle prit place comme souvent devant la cabane, assise, les yeux rivés sur la mer. Elle ne cessait de rêvasser à son nouveau et premier travail si bien qu'elle sursauta quand sa mère posa sa main sur son épaule.

— 'man ça va mieux ? s'enquit-elle.

Celle-ci hocha la tête, avec un faible sourire. Son visage était d'une blancheur cadavérique mais elle s'assit aux côtés de sa fille en lui prenant la main. Les deux femmes observèrent la mer en silence, mais ce n'était pas un silence gênant, juste un silence apaisant. 

— J'ai trouvé du travail et je commence demain matin, annonça Emmy. 

— Tu vas travailler où, ma puce ?

— Les De Laberty m'ont engagée. Je veux à présent que tu te reposes et que tu penses un peu à toi. Je vais ramener de l'argent à la maison même si je dois travailler des heures et des heures.

— Tu ne sais vraiment pas dans quoi tu t'engages Emmy. Cette famille n'a aucun respect pour ses employés ! Je préfère que tu restes à la cabane et que je m'occupe de retrouver un autre travail dans une autre famille.

— C'est hors de question. J'irai travailler et je ramènerai de l'argent. J'aurai 18 ans dans quelques mois et je refuse que ta santé en prenne un coup. Repose-toi et je m'occupe de tout. D'ailleurs, Oncle Roger nous a donné beaucoup de fruits, nous allons pouvoir faire une bonne salade de fruits.

Caroline avait les larmes aux yeux tant la faim la tenaillait. Cependant, jamais elle n'aurait avoué à sa fille à quel point le manque de nourriture était un problème pour sa santé. Ses malaises à répétition venaient uniquement du fait qu'elle préférait privilégier sa fille chérie. Une fois de plus, les deux femmes sautèrent le repas du midi. Caroline passa une bonne partie de l'après-midi à tenter de convaincre sa fille de ne pas aller travailler chez les De Laberty. Emmy, quant à elle, ne comptait pas revenir sur sa décision. Elle irait bel et bien travailler chez cette famille de riches le lendemain. 

Au menu du soir, il y avait une petite salade verte avec quelques tomates récupérées au marché quelques jours plus tôt ainsi qu'une vraie salade de fruits. Emmy alla se coucher tôt ce soir-là, afin d'être en forme pour son premier jour de travail. Elle voulait vraiment faire la différence. Le lendemain matin, elle se réveilla dès les premiers rayons du soleil sans même avoir besoin de la montre-réveil de sa mère. Elle se prépara rapidement, impatiente de commencer. Elle prit un petit déjeuner rapide composé d'une pomme et gagna la propriété des De Laberty. Arrivée au portail de la famille, c'est la gouvernante qui vint lui ouvrir. Elle l'accompagna jusqu'à la salle des employés où elle l'invita à enfiler l'uniforme des employés de la maison. Elle écouta les instructions de la gouvernante pour commencer les premières taches de la matinée. Au programme, il était convenu qu'elle fasse les poussières du salon, la chambre des parents et du fils ainsi que le nettoyage de la cuisine. Une autre employée s'occupait quant à elle du salon et des autres pièces de la propriété. Emmy commença par la cuisine. Elle resta bêtement fixer la pièce, tout était propre et rangé. Elle ne voyait pas ce qu'elle pouvait faire de plus. Elle entendit des pas approcher et s'empressa de passer le chiffon sur un plan de travail déjà propre. Mme De Laberty apparut avec un air hautain dans l'encadrement de la porte. 

— Dépêchez-vous de finir la cuisine et allez aider Anita au salon. Nous attendons des personnes importantes, alors, merci de vous tenir correctement et de ne pas vous faire remarquer ou ce jour sera votre dernier. 

Emmy hocha la tête et accéléra la cadence. Un quart d'heure plus tard, ne voyant pas ce qu'elle pouvait nettoyer d'autre dans la cuisine, elle fila au salon et commença les poussières. Une demi-heure plus tard, alors qu'elle venait tout juste de finir le salon, la sonnette de la porte d'entrée retentit. Madame et Monsieur De Laberty se précipitèrent à la porte en rajustant leur tenue. Emmy resta plantée dans le salon les yeux rivés sur la porte. Un couple tiré à quatre épingles salua pompeusement les De Laberty. Une jeune fille à la peau pâle, presque blafarde, entra à leur suite. Elle avait un air suffisant, tenant la tête haute et les cheveux rassemblés en un haut chignon serré. 

— Ne restez pas plantée là pauvre sotte ! Allez me chercher mon fils, ordonna Madame De Laberty à l'attention d'Emmy. 

Celle-ci baissa les yeux, confuse de se faire disputer devant autant de monde. La jeune fille à la peau blafarde ne cessait de rire en dévisageant Emmy avec un regard dégoûté. Emmy tourna le dos pour gagner le couloir. 

— Qui est cette paysanne ? demanda Madame Arnault, la femme qui venait d'arriver. 

Emmy accéléra le pas et elle entendit les invités exploser de rire. 

Les maux d'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant