Détention

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Emmy partageait sa cellule avec deux autres femmes. L'une, garçon manqué, incarcérée pour vol aggravé et l'autre à l'inverse très efféminée avait plongé pour des violences sur des agents publics. Emmy parlait très peu, elle ne voulait pas s'attirer plus d'ennui que nécessaire. Elle ne sortait quasiment pas à la promenade non plus mais il y avait une chose au moins qui la satisfaisait en prison...elle avait trois repas par jour. Cette famille toute entière, l'avait humiliée, jusqu'à leur rejeton de fils.

" Pourquoi m'a-t-il demandé de vivre avec lui à son retour, s'il comptait se marier à une autre ? " songea Emmy, en proie à une profonde incompréhension. 

Les semaines passèrent, mais Emmy n'arrivait pas à l'oublier. Elle savait qu'il devait être rentré de Paris et espérait secrètement le voir venir au parloir... en vain. Ce jour-là, en fixant à travers les barreaux de la prison elle se figea dans ses réflexions. 

Et si toute cette histoire de voyage à Paris n'était qu'un leurre ? Si le but recherché était juste de la sortir du jeu pour avoir le champ libre avec Julia maintenant qu'il lui avait prit son innocence ! Cela aurait justifié l'absence de nouvelles depuis son départ. 

Elle sentait de la colère s'immisçait en elle, lentement mais puissamment. Cette famille allait le payer! Elle était tellement plongée dans ses réflexions qu'elle sursauta quand on lui adressa la parole. 

— Emmy, tu veux m'accompagner à un atelier ? Tu... tu n'as pas quitté ta cellule depuis ton arrivée, proposa Camille, sa codétenue, garçon manqué. 

— Un atelier ? répéta Emmy d'une voix rauque. 

Elle n'avait quasiment plus ouvert la bouche depuis plusieurs semaines et reparler lui était étrange. 

— Oui, il y a des ateliers de lectures, d'art plastique, de mathématiques, d'informatique...

— Art plastique coupa-t-elle aussitôt. 

La jeune fille lui sourit, tapa sur la porte de la cellule jusqu'à ce qu'un maton se pointe. Elle lui expliqua brièvement qu'elles voulaient aller à un atelier. Les deux filles furent escortées jusqu'à une salle où une dizaine de détenus étaient installées. Une fille à peine plus âgée qu'elle était en train de déballer de son sac plusieurs paquets de la taille d'une briquette qu'elle posa devant chacune. 

— C'est de la pâte à modeler durcissante, vous pouvez laisser libre court à votre imagination et à la prochaine séance vous verrez le résultat solidifié. 

Les filles commencèrent à malaxer la pâte marron et Emmy resta immobile devant son pâton. Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle pouvait faire avec ça. Elle laissa son regard se porter sur les autres détenus. L'une avait commencé un cendrier, une autre un vase et une autre encore, un pot à crayon. Elle prit sa pâte entre les doigts et des souvenirs douloureux lui revinrent en mémoire. Elle repensa au fameux jour de ses 18 ans, où elle avait dû récupérer son argent dans du crottin de cheval. Elle grimaça, le souffle court. 

— Ça va ? demanda doucement Camille en ayant saisie son trouble. 

— Oui, juste des mauvais souvenirs qui me reviennent en mémoire. 

— Ah, ma belle, ici des mauvais souvenirs on en a toutes. C'est même souvent ses mauvais souvenirs qui nous ont poussé à commettre des actes délictueux. Mes parents sont morts dans un accident de voiture, me laissant sur les bras ma petite sœur de 4 ans. Je ne voulais pas qu'elle soit placé dans une famille d'accueil et je pensais naïvement que j'arriverai à m'occuper d'elle, mais je n'avais pas de travail, je passais le plus clair de mon temps à traîner avec mes potes dans la cité. Je n'ai pas de diplôme, pas d'emploi, pas d'argent. J'ai alors commis la plus grosse erreur de ma vie. J'ai tenté de braquer un petit commerçant de ma cité avec un pistolet que m'avait prêté une connaissance. J'avais le doigt sur la détente pendant qu'il remplissait un sac d'argent. J'ai entendu un cri, une femme venait de rentrer dans le commerce et prise par surprise mon index s'est refermé accidentellement sur la gâchette. L'homme derrière le comptoir a reçu la balle en plein abdomen, elle l'a traversée et s'est logée dans sa colonne vertébrale. J'ai su plus tard, qu'à cause de moi, il... il ne pourrait plus jamais marcher et ma petite sœur a été placée dans une famille d'accueil. Je n'avais pas l'intention de tirer sur qui que ce soit. Aujourd'hui je purge une peine de 6 ans ferme et il me reste encore 1 an à tirer. Quand je sortirai d'ici, ma petite sœur aura déjà 10 ans et j'aurai ruiné sa vie à elle aussi. Je travaille en prison pour payer du mieux que je peux les dommages et intérêts qui ont été fixés par le tribunal pour le commerçant qui ne pourra plus jamais travailler. Mais ce n'est pas avec les quelques misérables euros que je touche ici que j'arriverai à bout de ma dette. Je devrai porter le poids de cette dette toute ma vie, les frais de santé et dommage ont été évalués à 1.5 millions d'euros. Autant dire, qu'à ma sortie de prison, je devrai travailler toute ma vie pour lui. Enfin bon je m'étale, mais tout ça pour dire, qu'on a tous des mauvais souvenirs et qu'il faut les surmonter ou apprendre à vivre avec ! 

Emmy ne s'attendait pas à cette déclaration. Cela faisait 4 semaines qu'elle partageait sa cellule avec elle et c'était la première fois qu'elle lui parlait réellement. 

— Comment s'appelle ta petite sœur ? demanda Emmy, bouleversée par la destinée de Camille.

— Elle s'appelle, Koriane et c'est un amour de petite fille. Sa famille d'accueil n'a jamais voulu l'emmener au parloir...mais en même temps je comprends, elle est trop jeune pour mettre les pieds dans cet endroit même si c'est de l'autre côté de la vitre. Et toi, pourquoi t'es là ? 

Emmy sourit. À côté de son histoire la sienne était bien dérisoire.

— J'ai rencontré la mauvaise personne, je me suis attachée à lui et je lui ai donné tout ce qu'une femme avait à offrir. On n'était pas du même milieu, je suis pauvre et il est riche. Rien que là j'aurai du me rendre compte que c'était voué à l'échec. À peine quelques temps après sa rencontre, un incendie s'est déclaré chez moi et ma mère a été brûlée vive. C'était la seule personne que j'avais au monde. J'ai alors emménagé chez lui, sa mère ne pouvait pas me voir en peinture et me traitait sans arrêt de souillon. J'étais leur domestique et je travaillais des journées entières. Puis, Lyam, est partit à Paris pour une formation et mon calvaire à réellement commencé. Je n'avais plus le droit de dormir dans la maison. Elle m'avait déposé une couverture sur la paille de l'écurie et j'ai passé 1 semaine et demie dans le froid et avec les hennissements des chevaux. J'avais droit à un plateau repas par jour composé le plus souvent d'un verre d'eau et d'un quignon de pain nature. Je n'ai jamais autant perdue de poids qu'en cette semaine. Le jour de mon anniversaire, pour mes 18 ans, mon bourreau m'a demandé de sortir, elle avait placé ma paie dans une bouse de cheval et m'a demandé de la sortir avec mes dents, avant de m'enfoncer complémentent le visage dedans. Mais comme si ce n'était pas assez, j'ai été accusé ce même jour de vol de bijoux en or. Ils avaient été placés dans mon gilet car je n'avais strictement rien volé, mais il y avait un soi-disant témoin qui affirmait m'avoir vu les voler. Quand j'ai tenté d'expliquer sur place mon innocence, en leur disant de téléphoner à mon petit ami, ma patronne a sorti de sa poche un faire-part de mariage. Celui à qui j'avais tout donné allait se marier dans un mois et demi avec une riche de la ville. 

Puis elle se figea.

— Ça fait quatre semaines que je suis ici, donc son mariage doit avoir lieu dans deux semaines, reprit Emmy en sentant son estomac se contracter douloureusement à cette idée. 

Camille posa une main sur son bras.

— C'est qu'il ne te méritait pas, mignonne. Et dis-toi qu'au moins la prison t'aura extirpé de leurs griffes malsaines ! 

Emmy hocha la tête de haut en bas. 


Les maux d'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant