OS Destiel & Multiverse

Le puits de guerre #2

Il fallait attendre. Attendre que le jour se lève si seulement il se lève. C'était devenu presque monotone comme vie, on trouverait cela presque reposant si on omettait tout le reste. Une gamelle passa sous le nez du jeune soldat qui s'empressa de l'attraper pour dévorer son contenu. On le regarda avec des yeux ronds et réprobateur. Il loucha sur la tranche de pain dans le fond de l'écuelle et à contre-coeur la tendit à son voisin de droite. Il eut seulement le droit à un grognement comme remerciement de son voisin de droite et son ventre gronda, lui faisant regretter encore plus son seul repas de la journée qui venait de lui échapper des mains.

Les mains, autrefois elles servaient à magner la pâte, former des boules rondes et elles faisaient le bonheur des hommes lorsque encore chaud, les habitants du village venaient acheter le pain. C'était là où travaillait Ed, ce vieux grincheux qui avait su s'attacher à une seule personne et qui aujourd'hui se retrouvait à se battre à ses côtés. Du moins c'était le cas il y a trois jours. Ed avait disparu, sans prévenir, aucune idée d'où il avait pu arriver ni si même il était encore en vie.

Maintenant, Dean était seul. Plus que jamais il se sentait délaissé. Et plus que jamais il se sentait humilié et traité comme moins que rien. Même les rats avaient plus d'intérêt que lui, recroquevillé dans son coin, le dos collé à la terre, le casque descendant jusqu'aux sourcils. 

Les sourcils, ou les cheveux, peu importe, tout lui grattait. On ne lui avait pas vendu ces détails là de la guerre. Ce qu'on lui avait dit, c'est qu'il allait avoir l'honneur de défendre sa patrie mais l'honneur avait disparu dès les premiers jours. Du moins c'était ce qu'il s'était passé dans son régiment. Il s'était pris une raclée tellement violente que la moitié des rangs avait disparue et ceux qui restaient, n'étaient pas les bons.

Il regarda ses pieds. Sa godasse marron était déchirée, on voyait presque le dessus de son pied droit, quant au gauche, il était nu depuis des heures, blanc, griffé et terreux.

Il leva les yeux vers Thomas, c'était lui qui arborait fièrement cette godasse en lançant un regard de dédain au plus jeune, qui n'avait plus aucun pouvoir ici. Ed le protégeait, et Dean en était venu à se demander si sa disparition n'était justement pas liée à ce contrôle qu'il avait sur eux. Parce que depuis, c'était l'enfer dans les boyaux.

Il avait fini par s'habituer au bruit, à la peur et à la faim, ce qu'il devait craindre le plus était des centaines de mètres plus loin, retranché dans la copie parfaite du labyrinthe de terre dans lequel il vivait, mais en vérité, il n'avait pas peur d'eux. C'était ses camarades d'artillerie qu'il l'effrayaient le plus.

Ils étaient sept, lui tout seul. Tous plus âgé, il était la cible idéale. Sans défense, effrayé et perdu, on lui prenait tout ce qu'on voulait et on le poussait à prendre des risques stupides.

Une fois. Une fois il avait voulu, pendant les quelques heures de repos qu'ils avaient. Une fois il avait dirigé son arme vers l'un d'eux et il avait presque pressé la détente, mais une explosion l'avait surpris et l'avait poussé au sol, réveillant tout le monde. Son occasion était envolée à jamais.

"Qu'est-ce que tu fous là Winchester? Tu devrais pas tirer ces pigeons de Français au lieu de nous mater comme une catin?"

Il s'était relevé en déglutissant et la tête baissé avait trottiné jusqu'à son poste, le coeur battant la chamade.

Aujourd'hui, c'était jeudi. Il comptait les jours, c'est ce qui lui permettait de garder la tête hors de l'eau. Il faisait encore sombre mais quelques rayures rosées dans le ciel indiquait la venue du soleil ou peut-être était-ce les traces laissées par les avions, qui lâchaient leur cargaison au hasard au-dessus de leurs têtes?