Chapitre 24 - Camille

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These memories will stay with me Now I'm far away These memories still remain Now I'm far away You stay with me the same


These memories - Hollow Coves

*

Je sens son regard lourd me détailler.

« Pourquoi ? demande-t-il désabusé.

- Pourquoi, quoi ?

- Pourquoi tu y étais aussi ? Pourquoi n'en a-t-on pas entendu parler ? Pourquoi tu ne t'es jamais confié à moi sur ce sujet ? Pourquoi c'était toi ? Pourquoi elle ? Pourquoi me le dire maintenant ? Je ne te suis pas.

- Ce soir-là, ma tante avait eu la gentillesse de nous ramener à la maison puisqu'elle avait une compétition de sport qu'elle ne voulait pas louper à côté de chez nous. Tout était réglé : elle nous ramènerait, dormirait à la maison, et repartirait le lendemain. Il était tard. On ne voyait plus grand-chose sur la route. Nuit de brouillard. Je somnolais doucement. La radio était allumée. Ma tante sifflait joyeusement. Et ma sœur à côté de moi. Puis, je ne sais pas. Une seconde d'inattention, un chevreuil qui traversait la route, une voiture qui lui avait fait peur... Je ne saurais sans doute jamais. Mais la voiture a dérapé, d'un coup. Un tonneau. Deux. Un troisième. On ne parle pas assez de l'attente de la suite pendant les accidents. L'odeur du brûlé. Du gazole. Des cris. Du sang. Beaucoup de sang. Beaucoup de cris. Mais Hazel avait réussi à entrelacer nos doigts. Comme pour me dire que l'on resterait jusqu'au bout, ensemble. Comme si elle avait senti qu'un de nous deux y passerait. Comme si elle savait que ce serait elle. Elle me disait que tout irait bien en me serrant la main. Ou du moins, c'est ce que j'ai voulu comprendre. Ma tante a réussi à s'extirper avec une côte cassée. Elle ne m'a plus jamais adressé la parole, se sentant trop coupable de ce qui était arrivé Moi, je ne lâchais plus la main de ma sœur. Parce que ce que je tenais, c'était une main inerte, sans vie. Et je savais qu'une fois que je la lâcherais, tout changerait. J'aurais définitivement perdu ma sœur. »

Je fais une pause pour reprendre mon souffle, pendant que Gabin essuie mes larmes de ses pouces. Je soulève la manche de mon pull et lui laisse le temps de détailler la cicatrice qui barre mon avant-bras.

« Le reste, je ne m'en souviens que très vaguement. Je sais qu'ils ont essayé de la sauver. J'avais envie de leur crier que ce n'était plus la peine. Qu'elle était partie. Pourtant, au fond de moi, une partie s'était brisée. Perdre quelqu'un est déjà si dur. Alors, voir la personne qui me complétait le plus mourir sous mes yeux...

- Oh, putain... Merde, Camille ! Et moi qui n'était pas là pour toi à ce moment-là ! jure-t-il avec un regard de détresse. Je ne savais pas tout ce temps alors que c'était gravé dans tes yeux...

- Gab, ce n'était pas de ta faute. Je n'ai pas voulu en parler. Jamais. Mais là, j'en ai besoin.

- Je suis désolé, sincèrement...

- Ne t'en fais pas. Trois ans c'est long. Ma tante n'arrive plus à me voir. Mon père est parti parce que c'était trop dur de se voir retirer un enfant alors que rien ni personne ne l'avait préparé. Mes parents étaient à bout. Mais cela a permis à maman de rencontrer Jean, et je ne peux qu'en être heureux pour elle. Et puis, Charlie. C'est un rayon de soleil, ce môme. Je n'ai jamais été autant comblé que maintenant, dis-je en souriant vers Gabin.

- Que s'est-il passé avec ta famille pour que tous ces souvenirs remontent le jour de Noël ?

- En réalité, ils ne m'ont jamais quitté. Et j'ai bien peur qu'ils ne le fassent jamais.

- Qu'est-ce que tu racontes ?

- Que je suis complètement détraqué depuis trois ans ! Dès que j'angoisse, que je stresse, ou que je retrouve quelque chose qui me rappelle ce jour, je panique. Je revis chaque instant. Je suffoque. Je meurs de l'intérieur. Je deviens fou. Je fais peur. Et je suis mal, plus mal que jamais, souffle-je.

- Tu n'es pas fou. C'est un traumatisme, Camille. Un traumatisme que tu n'aurais jamais dû avoir à subir. Que personne ne devrait subir. Tu le comprends, ça ? Tu n'es pas fou.

- J'ai peur, Gabin. Quand je m'absente au lycée, c'est ça qui revient. Toujours les mêmes images. Les mêmes odeurs. Le sang. Le brûlé. La mort. Je n'en peux plus. C'est trop dur à supporter par moments. J'en ai encore fait une, de crise de panique, quand nous étions chez mes grands-parents. À cause d'une photo. D'une putain de photo. Pourtant, tu as bien vu le nombre qui trône encore dans sa chambre, je ne comprends pas pourquoi c'est arrivé maintenant. Je ne m'y attendais pas, j'imagine. Elles me vident d'énergie. Je suis le fantôme de moi-même, la partie sombre et déprimante. Et j'ai tout le temps peur que ça m'arrive. J'ai peur d'effrayer les autres. J'ai peur que Charlie ne veuille plus m'approcher. Peur que Jean se lasse d'un fils comme moi. Peur que ma mère en ait tellement marre qu'elle m'abandonne. Peur que tu sois spectateur d'une et que tu te rendes compte que finalement je ne te plais pas. J'ai peur pour moi et pour les autres. Elles me pourrissent la vie, Gab. Ces souvenirs me hantent sans pause. Je suis... Fatigué. J'ai parfois l'impression que je devrais tout lâcher. »

Il déglutit avec difficulté. Alors, c'est bon ? C'est comme ça que notre histoire se finira ? Je l'ai vraiment terrifié ?

« Je ne sais pas quoi dire...

- Je hais ces moments, Gabin. Je suis une marionnette de mes propres souvenirs. »

Il s'approche de moi et pose sa tête sur mon épaule. Je comprends enfin ce qu'il fait lorsqu'il passe ses bras autour de mon corps et me serre contre lui.

« Tu me connais, je suis la personne la moins douée pour réconforter, bien trop maladroit avec les mots, mais je sais qu'on va faire en sorte que tout aille mieux. Je te promets que ça ira. On va avancer, on va passer, pas au-dessus, pas par dessous, mais foncer dedans, tête baissée, chuchote-t-il.

- Merci. »

Parce qu'en réalité, il n'y a pas d'autres mots.

« Je... Je ne veux pas te rajouter de quoi te prendre la tête, mais je pense que c'est mieux que tu sois au courant.

- De quoi tu veux parler ? dis-je inquiet en reniflant.

- Mon oncle. Marc.

- Oui ?

- Il a... Mal réagi hier soir.

- C'est-à-dire ?

- Qu'il ne s'attendait pas à ce que... À toi et moi. Nous.

- Oh.

- En fait, quand Julien m'a appelé ce matin, c'était parce qu'il voulait me parler. On a longuement discuté. J'avoue que je ne me sentais pas forcément bien après ce qu'il avait dit. Il semblait encore plus mal à l'aise que moi. Il m'a avoué qu'il était surtout déçu que je ne lui ai pas partagé tout ça alors que nous étions toujours collés l'un à l'autre. Il était presque vexé que je ne me sois pas confié à lui sur le moment. Et c'est après coup qu'il s'est rendu compte de la gravité de ses mots. Il s'est tellement excusé. Je ne l'avais jamais vu aussi défait. Il s'en voulait tellement...

- Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ?

- Tu n'étais pas bien, Cam. Et puis, tout est bien qui finit bien. Juste...

- Oui ?

- Tu es invité chez ma grand-mère. Pour une présentation officielle à la famille.

- Quoi ? Quand ?

- Quand tu voudras. Quand tu pourras. Marc aimerait absolument « rencontrer le charmant jeune homme qui rend son Gabin si heureux ».

- C'est avec plaisir dans ce cas. »

Nous nous allongeons dans un silence. Je sens le blond s'assoupir doucement à côté de moi.

« Alors, comme ça je te rends heureux ?

- Chut, c'est l'heure de dormir ! pouffe-t-il en passant un bras autour de mes épaules »

Le jour où on rejoindra les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant