Mais je t'invite à danser sur la piste
Tout se bouscule dans ma tête mais j'prends le risqueQuand on danse - Tsew the kid
*
L'averse s'arrête au moment où Gabin commence à se calmer, mais nous ne nous décollons pas l'un de l'autre. Il continue de murmurer des je t'aime réguliers et je le serre plus fort après chacun d'eux. Aucun de nous ne veut que ce moment ne prenne fin. Ces deux semaines ont duré si longtemps, entre le poids de ses paroles et celui des regards, de la peur, et des nouveaux sentiments, que j'ai l'impression de ne pas avoir profité assez de ces derniers mois.
Depuis que je l'ai vu arriver dans la salle, avec cet air perdu qu'il traîne depuis deux semaines, j'avais juste une envie, c'était de le voir sourire à nouveau. Qui était ce Gabin froid et distant envers tout le monde qui était revenu de Londres ? Celui qui a passé tout son temps assis sur les bancs plutôt que de montrer à tout le monde ce dont il était capable, quitte à passer pour un idiot ensuite ? Inconnu au bataillon pour ma part.
Je mentirais si je disais que je n'avais pas senti plus d'une fois son regard dans mon dos. Plus encore si j'affirmais que ça ne m'avait rien fait. Il m'a tellement blessé que j'ai la vague impression de jouer avec le feu en le laissant se serrer contre moi. Mais en même temps, c'est la plus douce sensation que je n'ai jamais ressentie de ma vie.
« Plus jamais ça, interrompt-il mon flot de pensées d'une voix frêle.
- Pas même le jour où on rejoindra les étoiles, dis-je en souriant à l'évocation de la conversation que nous avions eue quelques semaines plus tôt. »
Je le sens se dérider contre mon épaule et cet instant m'apaise inconsciemment. Il m'a manqué, c'est un fait. Pendant deux semaines, j'ai pu le détester de tout mon être, j'ai eu le temps de réfléchir à tout et rien, j'ai regretté beaucoup de choses, que j'ai faites ou non. En deux semaines, j'ai l'impression d'avoir plus appris que jamais je ne l'ai fait dans ma vie. Et l'homme que je tiens dans mes bras n'y est pas pour rien.
Malgré tout, tout ce qu'on a vécu, tout ce qu'on a traversé, je ne peux plus. Gabin est certainement la personne que j'aime le plus au monde, je ne peux pas passer au-dessus de tout ce qu'il s'est passé comme si ce n'était rien. Comme si je n'avais pas souffert, moi aussi. Je ne peux pas faire comme si c'était normal.
Je passe ma main sous son menton pour remonter son visage vers le mien. Ses mèches blondes sont plaquées sur son front à cause de la pluie, et ses yeux bleus perçants sont brillants des larmes qu'il laisse couler. Ses lèvres sont étirées dans un rictus hésitant et je meurs d'envie de les embrasser.
« Tu es la personne la plus formidable que je connaisse, tu le sais ça ?
- Pourquoi je ne le sens pas ? demande-t-il nerveusement.
- Si tu savais comme tu comptes pour moi... Ce n'est même pas imaginable de contenir autant d'amour pour une personne. Et savoir que tu es tant perdu me brise le coeur. Mais, Gabin...
- N'aie pas peur, dis-le, murmure-t-il en clignant rapidement des paupières pour ne pas s'effondrer à nouveau.
- Tu as besoin de toi, et de toi seul pour te retrouver. Tu ne peux pas me donner ta confiance alors que tu n'arrives plus à croire en toi. Je ne peux pas croire en toi pour deux. On ne peut pas continuer comme ça si on est tous les deux aussi perdus, ça se finira mal, et l'autre jour n'était que le premier hors-piste, la première mise en garde...
- Mais c'est toi qui m'aide ! C'est toi qui me donnes confiance, c'est toi qui me guides, et je ne sais pas comment avancer si on arrête tout. Qui pourra me rassurer ? Qui saura trouver les mots ? Qui viendra m'épauler ? Qui me prendra la main quand je serais à bout ? Qui ? Je ne sais pas comment faire sans toi, Camille. Et j'ai peur parce que ces deux semaines m'ont juste montrées que tu ne seras pas toujours là.
- Et c'est pareil de mon côté, Gaby. Mais on s'en est sortis, regarde-nous. Ça a été dur, mais on est là, maintenant. J'ai besoin de réussir à surmonter ça, seul, et toi aussi. On ne sera pas toujours là, l'un pour l'autre. C'est évident. Je te promets que c'est le mieux, autant pour toi que pour moi. On a besoin de se retrouver face à nous-mêmes, pour savoir ce que l'on veut vraiment, et si on doit se rejoindre à nouveau, je ne doute pas que ça se fera.
- Je sais tout ça, je le sais, murmure-t-il. Mais je ne veux pas te perdre à nouveau alors qu'on vient juste de se retrouver, tu comprends ?
- Si on ne le fait pas, on se perdra nous-mêmes, et je ne veux pas de ça...
- Moi non plus. »
Un goût salé passe sur mes lèvres et je comprends que les larmes qui coulent sur les joues de Gabin reflètent les miennes. Je ne veux pas le laisser partir, mais c'est la solution la plus raisonnable. Pour lui. Pour moi.
« Tu sais ce que j'aime le plus chez toi ?
- Non, c'est quoi ?
- C'est que même si tu en souffriras toi aussi, tu préfères faire quelque chose de bon pour les gens que tu aimes, plutôt que de les laisser s'enfoncer, affirme-t-il.
- Je t'aime, Gabin.
- Et toi, tu es la meilleure chose qui me soit arrivée. »
J'ai le coeur meurtri, lui aussi. J'ai envie de regretter ce que nous allons faire, lui aussi. Je laisse des sanglots m'échapper, lui aussi. Pourtant, je sais que nous venons de faire le meilleur choix possible pour tous les deux, et lui aussi.
« Et si...
- Continue ?
- Et si, on passait la nuit ensemble ? Juste une dernière fois ? »
Je hoche la tête parce que c'est tout ce dont j'avais besoin. Il m'embrasse doucement et je me laisse porter dans la douceur de cette étreinte. Il essuie nos larmes de son pouce sans rompre la tendresse de l'instant.
Lorsque la voiture de Ben s'arrête, je lui suis reconnaissant de ne faire aucun commentaire sur ma présence. Et comme si rien n'avait changé, comme si nous étions revenus des mois en arrière, nous gloussons tels des pintades quand Gabin m'entraîne dans sa chambre en me tirant par la main pour notre dernière nuit ensemble.
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Le jour où on rejoindra les étoiles
RomansaJe crois que je n'avais jamais ressenti ça. Un vide immense qui vous entoure. Une seule idée qui vous obsède. Une envie de rien, de tout, de lui. Je crois que je ne pourrais pas trouver les mots pour qualifier ce sentiment qui m'est tombé dessus. D'...