Chapitre 41 -Gabin

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Experience - Ludovico Einaudi

*

Je l'observe comme je l'ai fait tant de fois depuis des mois. Sa respiration est régulière, les traits de son visage, adoucis par le sommeil, et je ne résiste pas à l'envie de passer doucement ma main dans ses boucles brunes.

Mon réveil affiche 13:08 et je souris, nostalgique. Une fois qu'il se réveillera, ce sera fini. Cette prise de conscience me fait monter des larmes qui me brûlent les yeux. Mais je respire un bon coup pour les empêcher de s'échapper. C'est le mieux à faire. J'en suis certain. Je le sais depuis que je lui ai tout déballé, hier soir. C'est la seule pensée cohérente qui m'arrivait quand je me suis soudainement écroulé par terre. C'était ce que me hurlaient mes sens, la pluie, et ses pupilles noisette.

Je sais que j'ai besoin de temps avec moi-même, pour me retrouver, accepter tout ce qu'il s'est passé, apprendre à avancer de nouveau sans peur, seul. J'ai la sensation que je ne me suis pas senti aussi bien depuis des années, alors que cela ne fait que deux semaines que je suis rentré de Londres, pourtant, quelque chose de nouveau s'est enlevé. Un poids que je ne ressentais pas jusqu'à maintenant. Et je l'aime d'autant plus de me permettre tout ça.

Je passe mes bras autour de son corps et me blottis contre lui.

« Gabin... grogne-t-il de sa voix rauque en se frottant les yeux.

- Bien dormi ?

- Je ne sais pas si on appelle ça dormir lorsqu'on le fait moins de trois heures dans la nuit, ajoute-t-il avec ironie. »

Je ris et me blottis un peu plus à lui. Un silence plane dans la chambre. Mais pas le genre de silence angoissant qui met mal à l'aise, plus un silence respectueux, un silence qui signifie qu'on pense à la même chose.

« C'était...

- Génial, complète-je d'un signe de tête.

- Merveilleux.

- Splendide.

- De l'amour, finit-il. C'était nous, et c'est ça qui était beau. »

Il se lève et enfile un bas avec mon t-shirt qui traînaient par terre.

« Ta sœur a laissé son piano ici ?

- Ouais, pourquoi ?

- Tu peux me suivre ? J'aimerais te montrer quelque chose... annonce-t-il en me prenant la main. »

Je le suis sans rechigner jusqu'à la pièce qu'Ambre a toujours occupée pour son piano et sa musique. Il soulève le couvercle qui protège le clavier et s'installe timidement sur le siège. Je m'assois sur le fauteuil qui se trouve à côté de l'instrument et attend. Le peu de fois où je l'ai entendu jouer, j'ai toujours été touché par ce qu'il faisait avec ses doigts.

« Depuis qu'on est ensemble, et peut-être même un peu avant, dès que j'entends ce morceau, je pense instantanément à toi. Tu es dans chacune de ces notes. Chacune de ces arpèges. Chacun de ces temps. Et j'ai toujours voulu prendre le temps de te le faire. Mais j'étais sûr qu'on aurait la vie entière devant nous donc je ne l'ai jamais fait. Quand on s'est disputés, je voulais le jouer, mais je ne réussissais pas, parce que je voulais vraiment que ce soit devant toi. Je ne sais pas ce que l'avenir nous réserve, mais aujourd'hui, je peux affirmer t'avoir aimé de tout mon coeur et t'aimer assez pour te laisser partir en sachant que c'est le mieux. On n'a que 17 ans, bientôt 18, la vie devant nous, mais un peu derrière aussi, alors je ne remettrais pas au lendemain ce que je peux faire maintenant, fait-il en me regardant.

- Je t'écoute... »

Il souffle pour se concentrer et pose ses mains sur les touches. Il commence à jouer avec une telle force et audace que je reste ébahi devant le Camille qui me fait face. Il enchaîne le morceau, les yeux fermés, ses sentiments jouent pour lui et je n'arrive pas à détacher mon regard de son visage si épuré à ce moment-là. Comment fait-il ? Il transforme les notes en de la magie. Ses mains se déplacent si habilement. Il reste concentré, mais a l'air de faire parti d'un autre monde.

Le jour où on rejoindra les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant