Let your mother know you're safe
And by the time she wakes
We'll have driven through the state
We'll have driven through the night, baby come onSleep on the floor - The Lumineers
*
L'avion a décollé il y a trois jours maintenant et bien que j'ai répété maintes et maintes fois à Camille que je ne voulais pas qu'il m'accompagne, j'ai regretté. Surtout quand j'ai vu tellement de couples se séparer et se retrouver dans l'aéroport.
Mon père m'a laissé à la gare à ma demande et je me suis retrouvé seul à attendre l'embarquement de l'avion. J'ai beau fêter mes dix-huit ans dans quelques mois, je n'ai pas du tout la sensation d'être un adulte. Ni de pouvoir en devenir un.
J'ai besoin continuellement de quelqu'un pour m'épauler ou décider à ma place. Bien sûr, ceci reste entre nous, il faut bien que j'ai un minimum de crédibilité aux yeux des autres... Mais je ne me vois pas du tout habiter seul dans un appartement l'année prochaine. Ni passer la barrière de cette catégorie de personne que l'on appelle « adultes ». Tout simplement parce que je ne suis pas prêt. J'ai l'impression que je vais être lâché au milieu de la cage aux lions sans aucune préparation. Et, bien que je ne veuille pas le montrer, ça m'angoisse vraiment.
Tout comme de retrouver mes anciens amis, d'ailleurs. J'étais une boule de nerfs pendant les deux heures d'avion. Jusqu'à ce que je les vois en un rang de guignols agitant une banderole à mon nom. Le stress a laissé place à un tout autre sentiment. Je suis vraiment heureux de nos retrouvailles.
Dans le groupe, nous sommes quatre, il y a Aiden qui a mon âge mais a arrêté les études pour se spécialiser dans ce qui le passionne vraiment : la menuiserie. Il aide son père dans son atelier à une quinzaine de minutes du centre de Londres. D'origine anglais, il parle couramment le français grâce à ses parents qui ont insisté depuis tout petit sur l'apprentissage d'une deuxième langue.
Bill, un grand brun baraqué, fait au moins deux fois ma taille (j'exagère légèrement, peut-être) et a deux ans de plus. Nous n'avons pas du tout les mêmes goûts pourtant, nous nous entendons particulièrement bien pour des opposés. Il fait des études de droit dans une école française depuis un an et s'y plaît plus qu'il ne s'est jamais plu ailleurs.
Enfin, le dernier de la coloc se nomme Logan et c'est certainement celui avec qui j'ai le plus d'atomes crochus. Ses parents sont morts alors qu'il était petit et il a toujours vécu aux États-Unis sauf depuis qu'il a débarqué ici pour tourner la page. Ça fait deux ans qu'il partage la nationalité anglaise et sa nouvelle vie avec Aiden et Bill. Il apprend lui aussi le français depuis plus d'un an et demi.
Le seul manquant de notre quintet de colo est Blake. Aucun de nous n'a de ses nouvelles depuis le temps.
Depuis trois jours, j'enchaîne visite sur visite, entre les coins incontournables de Londres selon les touristes, et les coins incontournables selon mes potes. Je ponctue mes journées d'appels à mes parents et à Camille. L'un veut savoir si je m'amuse pendant que les autres vérifient que je me sois bien brossé les dents matins et soirs. Les deux réponses sont oui.
Alors que Bill débarque dans ma chambre en imitant Tarzan, je comprends que c'est le moment où je suis censé me réveiller. Contre toute attente, je n'ai pas tant souffert du décalage horaire. De toute façon, avec le programme chargé que m'ont préparé les gars, je n'aurais clairement pas pu l'utiliser comme excuse.
Je ris de ce sans-gêne et me frotte les yeux en consultant mon portable.
De Éric :
Hey le touriste, profite bien.
De Éric :
Enfin pas trop, quoi. Que tu aies un peu envie de rentrer quand même.
De Gabin :
Promis, je te ramène un souvenir :p
*
Après avoir fait Camden Town en long en large et en travers, pour cette cinquième journée, je bats en retrait. C'est sportif en fait, les boutiques !
Nous rentrons à l'appartement dans les célèbres taxis noirs qui envahissent les rues de la capitale. J'adore.
La fatigue de la journée nous tombe tous dessus et d'un accord commun, nous faisons chauffer de l'eau pour des pâtes -qui cette fois-ci n'auront pas la consistance d'une soupe, n'est-ce pas, Julien-. Je m'isole légèrement dans la chambre où je dors pour passer mon appel quotidien.
L'écran de mon ordinateur me renvoie le reflet de mon impatience quant à revoir un visage d'ange souriant qui m'accompagne partout dans mes pensées.
« Gaaab !
- Comment tu vas ?
- Je suis heureux de te revoir.
- Moi aussi, Camille, moi aussi, je réponds.
- Il est tôt par rapport à d'habitude !
- 20:42 ici, dis-je en regardant l'heure, je trouve ça déjà bien tard !
- Oui, c'est vrai. Quoi de beau, aujourd'hui ?
- Tu veux dire, si on ne compte pas mes pieds éclatés à cause des baskets trop petites que je portais ?
- Aha, tu t'en es déjà bien plaint par message il y a à peine une heure !
- Hum... Non, pas vraiment. Tu me manques, mais ce n'est pas nouveau, ajoute-je pendant un léger silence.
- Toi aussi. Mais pense à profiter. Si je n'étais pas assez égoïste pour te garder cinq minutes de plus avec moi, je raccrocherais pour que tu rejoignes ton groupe.
- Entre nous, j'aime ton côté égoïste, là, tout de suite. »
J'observe les pixels qui déforment son visage. J'aimerais l'avoir à côté de moi.
« On reviendra ensemble un jour.
- Avec plaisir.
- J'adorerais voir tes yeux ébahis sur ces quartiers. Te tenir la main dans les parcs. Rire ensemble des énormes panneaux publicitaires. Se perdre dans les détours du tube*. Se balader et s'aimer au milieu de cette ville qui ne s'arrête jamais de vivre. »
Il affiche un sourire qui grandit au fil de mes énonciations.
« T'es beau quand tu souris.
- Je t'aime.
- Moi aussi, je t'aime, Camille. »
Si j'avais su que ce serait la dernière fois que j'entendais ces trois mots, peut-être les aurais-je plus chéri encore ?
*tube : équivalent du métro à Londres
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Le jour où on rejoindra les étoiles
RomantikJe crois que je n'avais jamais ressenti ça. Un vide immense qui vous entoure. Une seule idée qui vous obsède. Une envie de rien, de tout, de lui. Je crois que je ne pourrais pas trouver les mots pour qualifier ce sentiment qui m'est tombé dessus. D'...