Journal d'Anne Samedi 31 octobre (Mon amie Tillie)

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- Dis-moi Anne, Mrs Cuthbert semblait prendre bien à cœur le repas de soir! Me fit Tillie avec un sourire coquin.
- Oui, elle a invité Gilbert à manger. Répondis-je en mordant dans ma grosse tranche de pain.
- Ouiiiii, enfin! S'exclama-t-elle en tapant vigoureusement ses mains l'une contre l'autre dans une joie non dissimulée.

Je la regardais sans comprendre d'où venait son soudain enthousiasme. En effet, j'étais heureuse que Gil vienne aux Pignons verts même si je redoutais un peu la réaction de Matthew. Mais pourquoi cela enchantait tant mon amie? Devant mon air perplexe, elle continua :
- Il y a quelque chose que je dois t'annoncer et je tenais à ce tu sois la première de nos amies à l'apprendre. Elle trépignait sur place, leva sa main vers mon visage et je découvris ce qu'elle était visiblement très impatiente à me montrer. Sur ses doigts replets, une fine ligne brillante ressortait, un anneau d'or ou de bronze surmonté d'une petite fleur simple.
- Tillie! M'exclamai-je en bondissant sur mes pieds. Est-ce que je crois? Quand est-ce arrivé? Raconte-moi tout!

Milles questions se bousculaient dans ma tête.
Rougissant, elle tira sur sa cape d'un geste timide.
- Hier soir. Chez mes parents.
- J'ignorais que vous étiez déjà à penser à cela! Enfin, je veux dire... je savais que tu lui plaisais, et ce déjà lorsque nous étions à l'école. C'était évident. Je me doutais aussi que tu n'étais pas indifférente à ses attentions mais de là... c'est si rapide! Bafouillai-je.
- Ce n'est pas comme si nous étions deux inconnus! Je connais Paul depuis que nous sommes enfants, nous habitons la même rue et nos parents sont tous deux commerçants. Tenta de justifier Tillie.
- Mais l'aimes-tu? Ne pus-je m'empêcher de lui demander.
- Anne, je ne suis pas une romantique comme toi. Je ne lis pas des tas de romans et ne sais pas mettre des mots compliqués pour expliquer ce que je vis.
- Mais que ressens-tu en sa présence? Comment sais-tu que c'est l'homme qui te convient, qu'il sera le compagnon de vie idéal pour toi? M'emportais-je.
- J'ai remarqué que ses visites me manquaient et que mon cœur bat toujours très vite quand il est près de moi. Il est comme moi, pas très doué pour parler mais on se comprend très bien. Argumenta Tillie avec verve.

Je souris, car je voyais à présent dans ses yeux et ses mimiques ce que qu'elle n'arrivait pas à exprimer. Ses pupilles brillaient, ses joues rosissaient et un sourire ne la quittait plus. Oui, Tillie était bien amoureuse. Je lui pris la main et lui dis combien j'étais sincèrement heureuse pour elle.

- Tu n'es donc pas fâchée sur moi?
- Fâchée? Mais pourquoi donc?
- Parce que je ne vais probablement pas retourner étudier à Queens. Fit-elle toute penaude.
- Quelle genre d'amie serais-je si je m'irritais parce que tu ne choisis pas la même voie que moi?
- Je ne regrette pas d'avoir été à Queens, tu sais, car la vie à Charlottetown m'a fait comprendre où était ma place et ce qui me manquait le plus. Et de voir une Miss Stacy si talentueuse échouer à être une bonne institutrice, je me rends compte combien c'est difficile et je n'ai vraiment pas son courage.
Elle ajouta un sourire en coin:
- De plus, si je me retrouvais avec les élèves aussi brillants que toi et Gilbert, je ne ferais sûrement pas le poids!
Nous nous mîmes alors à rire en évoquant quelques anecdotes.

- Et puis... J'ai bien remarqué que je dénotais à Charlottetown, parmi toutes ces jolies demoiselles. Si, Anne, ne me démens pas! Alors qu'ici, je me sens moi-même. Et je suis bien à Avonlea, parmi ma famille et Paul bien sûr. Il m'apprécie telle que je suis. N'est-ce pas important?
- Si, Tillie, tu as entièrement raison. C'est le plus important. Lui répondis-je, la voix chevrotante d'émotion.

Elle me raconta alors tout. Que son prétendant avait été invité plusieurs fois chez ses parents, accompagné parfois de son père, alors qu'elle était encore à Queens avec nous. Et hier, Mr et Mrs Boulter les avaient invité tous deux, Paul et son père. Chose étrange, les frères de Tillie ne prirent pas place à table mais mon amie ne s'en formalisa pas, trop heureuse d'avoir retrouvé Paul. Puis, avant le dessert, ils allèrent tous au salon, bien vite les hommes sortirent fumer et la mère trouva une excuse pour s'éclipser à son tour. Paul et Tillie restèrent donc plus qu'à deux dans le salon familial. C'est alors qu'il fit sa demande à laquelle Tillie ne s'attendait pas du tout. Il n'avait, certes, pas un genou à terre comme dans de nombreux romans que j'ai pu lire mais il était assis à ses côtés. Il lui a prit la main et a bredouillé des mots simples et directs et mon amie Tillie n'a pas hésité à répondre. Les parents, qui n'attendaient que cela, fêtèrent l'événement en ouvrant une bouteille de vin de France.

- T'a t-il embrassée ensuite? Lui demandai-je curieuse et enjouée.
Elle hocha la tête, les joues en feu.
- Quand j'ai dis oui, il m'a fait un bisou sur la bouche!
- Oh.
« Est-ce tout? » Failli-je ajouter, puis je me ravisai de justesse. Je n'avais pas envie qu'elle me retourne la question alors que visiblement elle n'avait pas la même... expérience que moi.

- Je n'ai peut-être que dix-sept ans mais je me sens femme maintenant ! Oh Anne, je te souhaite le même bonheur que moi de devenir très bientôt une femme mariée!
- Je ne pense pas que ce soit d'actualité. Lui répondis-je. J'avoue maintenant que j'étais un peu envieuse de sa félicité.
- C'est ce que tu crois! Affirma-t-elle. Mais tu oublies que Marilla a invité Gilbert, qu'elle a acheté un beau rôti et qu'elle semblait bien pressée de préparer le repas!
- Crois-tu que... ?
Tillie remua positivement de plus belle la tête.
- Que vas-tu mettre ce soir comme tenue?
Je regardais, embarrassée le bas de la robe marron de Marilla qui dépassait de mon manteau et qui n'avait rien de flatteur.
- Je n'ai pas grand chose à me mettre je le crains. Fis-je, désolée.

Nous restâmes, toutes deux silencieuses un instant. Je repensais aux paroles de Tillie. Se pourrait-il qu'elle dise vrai et que Gilbert me fasse sa demande ce soir?
- Anne, je dois retourner auprès de ma mère et... je voudrais passer voir Paul aussi. Avoua-t-elle gênée. Pourrais-tu repasser à la boucherie avant de retourner aux Pignons verts?
J'acquiesçai et nous prîmes deux directions différentes.

 Pourrais-tu repasser à la boucherie avant de retourner aux Pignons verts? J'acquiesçai et nous prîmes deux directions différentes

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