Journal d'Anne semaine du 19 au 25 octobre (2)

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Mercredi 21
Aujourd'hui j'ai reçu un courrier auquel je ne m'attendait pas et de son contenu encore moins. Mon cœur s'est serré en le lisant et je n'ai pu empêcher quelques larmes de tristesse et de colère de s'échapper de mes yeux rougis. Pourquoi la vie est-elle si injuste? Pourquoi l'être humain, lui qui peut être capable de faire des choses magnifiques, pleines de bonté et de beauté, puisse être capable de tant de méchanceté et d'égoïsme? Je suis révoltée. Pourquoi faut-il que tout dans la vie soit si compliqué? Pourquoi, lorsqu'un homme et une femme s'aiment et sont libres de le faire, faut-il qu'il y ait d'autres personnes pour leur dire s'ils le peuvent ou pas?

Oh pardon, je m'emporte encore mais je ne suis pas encore apaisée depuis ce matin.
La lettre en question venait de Miss Stacy, Muriel comme elle demande de l'appeler mais je n'ai pas encore l'habitude. Muriel, donc, m'informait que ses noces avec Sebastian n'auront pas lieu le mois prochain et elle ignore si elles auront lieu un jour. La raison est simple : certaines personnes à l'esprit étriqué jugent que cette union est hors convenance et refusent de la célébrer. Pire, on la menace même de perdre son emploi d'institutrice! Miss Stacy! Rendez-vous compte? Notre Miss Stacy! Celle-là même qui nous a tout appris, celle a qui nous devons notre certificat des écoles. Ma muse, mon mentor.

Elle qui m'a enseigné avant de partir qu'il était insensé d'espérer baigner dans un bonheur permanent, qu'on ne pouvait connaître la joie sans avoir connu le chagrin. Je croyais sincèrement que ses mauvais jours à elle étaient à présent bien loin et qu'elle pouvait enfin prétendre à la plénitude auprès d'un époux aimant et d'une vraie famille. Je pensais qu'elle avait obtenu son équilibre.

Autant vous dire que je me suis empressée de l'annoncer à mes amies, qui avaient de toutes façons vu mon changement soudain d'humeur. Leurs indignations n'était pas égales. À cela je devais m'en douter. Le père de Josie doit probablement être de ceux qui fustigent les personnes qu'ils qualifient d'inférieures. Ruby, elle, n'ose jamais dire du mal de personne, à part Madame Blackmore la directrice du pensionnat! Mais dans l'ensemble, elles étaient toutes outrées que l'on empêche Miss Stacy de travailler sous prétexte qu'elle souhaitait se marier.

Voyant que nous tardions à rentrer en classe, Madame Gagnon, la professeur de français, nous interpella en nous demandant la raison de notre chahut. Je pris la parole, me sentant comme une révolutionnaire française prête à prendre d'assaut la Bastille! Je lui demandai à brûle-pourpoint quelles sont les conditions pour être un bon professeur et quelles sont les raisons valables de renvoi. Surprise, elle hésita. Sa réponse fut évasive et ne me satisfit pas. Je consacrai donc mon heure de repas à la bibliothèque, fouillant dans les livres juridiques, en vain. Nulle trace de loi écrite noir sur blanc, et probablement par un homme, qu'une situation maritale puisse être une raison d'évincer une enseignante. Nulle trace non plus qu'un homme de couleur serait un mauvais époux pour une femme blanche. Mais je ne suis pas idiote. Si je ne trouve pas de trace de ces lois, cela ne veut pas dire qu'elles ne sont pas d'application.

Il me faudra trouver autre chose pour aider Muriel. Car ça oui, je me donne pour mission d'y arriver... ou du moins d'essayer. Je ne peux rester ici, les bras croisés face à pareille cruauté.
Je veux défendre Muriel, je veux sauver son couple et sa situation. Je lui doit bien ça.
Il se fait tard. La nuit me portera peut-être conseil.
Bonne nuit cher journal.

Bonne nuit cher journal

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Anne avec un e - Lettres et confidencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant