Anne avec un e - Lettres et confidences

Journal d'Anne - Lundi 20 decembre

Oh mon cher journal, comme les journées filent et qu'il est émouvant de remarquer que les préparatifs des fêtes de Noël avancent à grands pas!

Tu verrais la salle communale d'Avonlea, elle ressemble à une vrai ruche!
Avant même de franchir les portes de celle-ci, on peut entendre un bourdonnement ininterrompu, attestant de son activité, et lorsque on y pénètre, on est surpris par ses nombreuses petites ouvrières vaquant chacune à ses occupations dans une ambiance surchauffée.

Dans un coin de la salle, les couturières s'affairent jour après jour à ajuster et réarranger les costumes des enfants. Marilla est l'une d'entre elles et semble apprécier son sort. Un peu plus loin, la chorale répète inlassablement les chants de Noël jusqu'à ce que le résultat soit jugé acceptable par Mrs Bahlow assise derrière son piano droit. Sur la scène, Moody et son père assemblent les décors que peaufine avec beaucoup de talent mon ami Cole. À la droite de la salle, Diana apprend avec beaucoup de patience aux plus jeunes enfants quelques pas de danse avec toute la grâce dont elle est pourvue. Dans la mezzanine est aménagé un coin décoration, où sont confectionnés les couronnes de houx qui orneront bientôt les murs et les tables. À l'entrée, est déjà disposé le comptoir qui servira pour le buffet des desserts que des bonnes âmes voudront bien apporter. Et enfin, au milieu de ce tumulte de chants, de notes et de bruits, trône la reine de toutes ces abeilles: Rachel Lynde !

Mrs Lynde, l'inépuisable matrone, un carnet et un crayon à la main, inspecte, vérifie, annote, encourage, critique, complimente, compte, cherche, s'impatiente, fredonne, se tourmente, sourit et... soupire !
Que j'aime la regarder se démener et prendre autant à cœur tout ce qu'elle entreprend afin d'offrir à tous le meilleur des Noëls. Elle a, certes, son caractère mais sans celui-ci rien de tout cela ne prendrait forme aussi vite et aussi efficacement.

Lorsque nous sommes venues toutes la voir il y a trois jours avec notre liste interminable d'idées, elle eut du mal à nous freiner. Mais quelques heures plus tard, un bon thé et une petite dose de compliments, elle avoua que certains de nos projets valaient le coup d'être explorés et que l'aide de tous, y compris la nôtre, n'était pas de refus.

Que j'aime cette petite ville et ses habitants! Évidemment, ils ne sont pas parfaits et certains ont même des principes étriqués, mais il règne ici une telle générosité, une entraide mutuelle qui est indispensable à cette vie dure et simple qu'impose la campagne. La chaleur dans le cœur de ces hommes et femmes est inversement comparable à la froideur du dehors, des lacs gelés, des champs immaculés et du soleil d'hiver si discret.

Tu dois te demander ce que je fais durant ces longues journées, et je peux te répondre non sans une pointe de fierté. J'ai en effet eu l'immense privilège d'être en charge de la pièce de théâtre cette année! Nous jouons traditionnellement l'histoire de l'île magique mais je l'ai quelque peu revue à ma sauce afin que personne ne se sente lésé par le rôle qu'il a à jouer. À sa demande, Thomas Lynde endossera toujours son costume de homard mais en l'absence de notre révérend, ce sera une dame qui jouera son rôle, qui avait pourtant tant fait rire l'assemblée. Aucun autre homme n'ayant voulu lui succéder.

Voilà mes préoccupations du moment et la raison pour laquelle je n'ai guère pris le temps d'écrire. Cette même raison m'aide également à combler le vide que génère l'absence de Gil. Que j'aurai aimé partager toutes ces petits moments de joie avec lui cette année! Mais je ne peux me comporter comme une petite égoïste. Le trajet est long depuis Toronto et il a ses études à poursuivre. Je devrais déjà être heureuse et reconnaissante qu'il puisse venir jusqu'ici dans quelques jours.

Bonne nuit cher journal.
Merci d'être là mon fidèle compagnon, confident de tous bonheurs, de mes tourments et de mes secrets.