Anne avec un e - Lettres et confidences

Lettre de Gilbert à Anne - 8 novembre

Ma douce Anne, ma tendre Anne, mon amour.

J'espère que tu te portes bien et que tu es bien rentrée avec tes amies. Je t'imagine en train de rédiger ton article, je sais d'avance qu'il sera exceptionnel. Comme toi,

Voilà une semaine que je suis rentré à Toronto, dans ma petite chambre d'étudiant, à mener mes journées à l'université et mes soirées bien remplies à la brasserie.

Et bien que je sois très occupé, ce séjour à Avonlea me reste tout le temps en mémoire.
Sans cesse je pense à toi, à ce que tu m'as dit, à ce que je t'ai dit et peut-être ce que j'aurais dû faire. Je ne peux plus attendre une de tes lettres, j'ai besoin de t'écrire. J'ai besoin de savoir aussi.

Sache tout d'abord que la surprise que tu aies eu la même idée que moi d'aller à Avonlea et pour les mêmes raisons m'a apporté beaucoup de bonheur. Je n'espérais pas tant en partant de Toronto.

Te revoir ainsi dans notre campagne, aux Pignons verts ou même dans ma maison m'a fait remonter un flot de souvenirs. Notre première rencontre dans le bois, nos heures passées à l'école, tes visites à Mary... c'était le temps où nous étions innocents de ce qui nous liait, où l'on se pensait juste amis.

Ces trois jours m'ont permis de réaliser l'évidence. Ton amie Diana m'avait reproché de ne pas m'en être rendu compte. Je découvre pleinement à présent ce qu'elle voulait dire.
Je t'ai toujours aimé, Anne. Je t'ai toujours admiré aussi.
J'ai repensé longuement depuis à ce qu'aurait pu être notre vie si nous l'avions remarqué plus tôt, si nous vivions encore là-bas tous les deux. La vie serait alors si simple.

Ne te méprends pas, je ne me plains pas des choix que nous avons fait. Je me dis juste que j'ai été stupide de ne pas t'avoir avoué plus tôt ce que je ressentais et bien aveugle pour ne pas avoir remarqué qu'il en était de même pour toi.

Une autre chose qui me trotte dans la tête depuis huit jours, c'est la remarque que tu m'as faite avant de partir. Je sais que tu me taquinais, du moins je l'espère. Mais j'ai besoin de savoir.
Que se passe-t-il entre Cole et toi? T'a-il fait une demande? A-t-il des sentiments pour toi? En as-tu eu pour lui dans le passé? Cela me ronge de penser que vous vous côtoyez régulièrement et de voir combien vous êtes proches tous les deux. Étais-tu sérieuse en disant que tu pourrais l'épouser si on ne s'unissait pas? Dois-je m'inquiéter pour nous deux?

Quant à la demande que je ne t'ai pas faite, je n'aurais peut-être pas dû t'en parler. Mais voilà... je t'ai promis de te la raconter.
Te souviens-tu du jour où je t'avais fait la surprise chez Miss Barry? Ce jour-là nous avions fait une promenade dans un parc à Charlottetown avec Diana, Cole et des connaissances à vous. Je t'avais alors soustraite de la présence de tes amis pour t'avoir égoïstement un peu rien qu'à moi. De te revoir, si jolie, si spontanée, je me sentais si amoureux. Rassure-toi, je le suis toujours autant! Mais c'était comme si alors tout était possible. Comme si tout était simple. J'étais perdu dans tes yeux et plus rien n'existait autour de nous. Il n'y avait plus de distance, plus d'études, rien à surmonter. Je me suis ressaisi au dernier moment en réalisant dans quel endroit nous étions. Te promettre quelque chose d'aussi important, là, à la sauvette, entre deux arbres, sans bague et rien à t'offrir. Non, tu mérites bien mieux, Anne.

Tu as appris les raisons pour lesquelles je n'ai encore rien fait. Je souhaite que tu réfléchisses vraiment à toutes les conséquences qu'une telle union impliquerait, aux sacrifices que cela te demanderait. Tu es libre de tes choix, tu connais les miens.

Je t'aime, sincèrement. Et c'est justement pour cette raison que j'agis ainsi.
J'espère que tu me comprends.
J'attends de tes nouvelles avec impatience.

Ton Gilbert, pour toujours.