Journal d'Anne le 31 octobre (La bénédiction)

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Aux Pignons verts, une merveilleuse odeur de viande braisée envahissait le rez-de-chaussée et réveillait mon ventre qui me rappelait cruellement que je n'avais rien mangé depuis midi.
Marilla s'exclama:
- Ah, te voilà enfin! C'est pas trop tôt! Je me demandais si je ne devais pas envoyer Matthew une nouvelle fois à ta recherche. Viens donc m'aider!

Je me défis donc de mon manteau, mes gants et mon écharpe et pris plus de précaution pour retirer mon bonnet afin de ne pas me décoiffer. Tillie et sa mère avaient tellement mis du cœur à me faire un superbe chignon qu'il aurait été dommage qu'il se défasse avant le repas.

En me retournant je vis Marilla, stoïque, les bras croisés, qui examinait ma mise, les yeux sévères.
- Qu'est-ce donc que ceci? Tu comptes te rendre à un bal, Anne?
- Oh non Marilla, la mère de Tille me l'a prêtée... pour ce soir. Elle... voulait me remercier pour l'aide que j'ai apporté à sa fille pour ses devoirs.

Et c'était vrai. Mais je ne pouvais décemment pas ajouter à Marilla que j'avais honte de celle qu'elle m'avait prêtée et ne voulais surtout pas la peiner en lui avouant me sentir beaucoup plus jolie dans celle-ci.
Elle fronça les sourcils, détourna le regard et se frotta vigoureusement les mains sur son tablier, signe d'une grande contrariété.
- Bon, j'allais te demander d'arroser le rôti mais tu risques de te salir, mets donc la table ! Nous serons quatre, Jerry passe son samedi soir dans sa famille.

Je m'exécutais avec ravissement. Pour moi, mettre la table lorsqu'on reçoit c'est montrer à ses invités toute la joie que l'on ressent de les accueillir et leur exprimer avec subtilité tout le plaisir que l'on a de partager ce repas avec eux. Faute de fleurs en cette saison, je fis un bouquet de feuilles d'automne et de branches de cornouillers afin d'apporter une touche finale et de couleur à ma décoration. Tout devait être impeccable.

Je remarquai alors le paquet contenant la robe de Marilla que j'avais laissé traîné sur un tabouret. Je décidai de le monter discrètement afin de ne pas froisser un peu plus ma chère tutrice... ainsi que sa robe.
Mais en arrivant dans ma petite chambre de jeune fille, je fût stupéfaite de découvrir, soigneusement alignées sur mon lit, les trois robes que j'avais apporté de Charlottetown. Elles avaient toutes été reprises, ici pas un morceau de dentelle, et là par l'ajout une pièce de tissu. Marilla avait dû y passer la nuit et une bonne partie de la journée pour les ajuster. Je compris alors son empressement ce midi de retourner aux Pignons verts.

J'étais émue par tant de prévenance et de gentillesse et m'en voulais de mon manque de gratitude. J'avais passé la journée à maudire sa robe désuète alors qu'elle améliorait les miennes de son côté ! Quelle fille ingrate je faisais!

C'est à ce moment-là, alors que je m'apprêtais à me défaire de la robe de Mrs Boulter pour enfiler une des miennes et montrer ainsi à Marilla combien j'étais touchée de son geste, que cette dernière arriva dans mon dos.
- Que fais-tu Anne? Gilbert ne devrait pas tarder à arriver!
- Je... balbutiai-je en montrant mon lit.
- Non, reste comme tu es, tu es très jolie dans cette robe, Anne. Profite-en de la porter avant de la rendre, me dit-elle avec douceur en m'aidant à la reboutonner.
- Je suis désolée Marilla, si j'avais su... Merci mille fois pour mes robes, je suis certaine qu'elles m'iront parfaitement bien à présent!
Je l'enlaçai et, à mon ravissement, elle m'enlaça aussi. Ce petit interlude me fit un bien immense et au sourire que Marilla me renvoyait, j'imagine que pour elle aussi.

- Tu as bien changé, Anne. Tu as grandi et mûri. Tu es devenue une belle jeune femme maintenant, intelligente et attentionnée. Je suis fière de toi. Elle m'appliqua un baiser sur le front, comme... une bénédiction.

 une bénédiction

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