Lettre de Muriel à Sebastian

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Sebastian,

Tu seras sûrement surpris de recevoir cette lettre, à moins que tu l'attendais?
J'ai longtemps hésité à te l'écrire et il m'a fallu prendre de la distance avant d'oser prendre la plume.
Tu trouveras peut-être étrange de ma part de m'exprimer par écrit plutôt que de vive voix. Moi qui suis d'ordinaire plus franche. Mais je dois t'avouer que le courage m'a manqué. Et là aussi, je ne me reconnais guère.

C'est Marilla, Rachel et surtout nos amis Anne et Gilbert qui m'ont convaincue qu'il était nécessaire, pour toi comme pour moi, de t'expliquer mon départ et ce qui la provoqué.

Tout d'abord, je veux t'assurer que mon amour pour toi a toujours été sincère. Et il est toujours aussi présent dans mon cœur. Jamais je n'ai voulu te blesser, que du contraire. C'est justement parce que mes sentiments pour toi sont trop forts que j'ai quitté Avonlea.

Le jour où j'ai accepté de devenir ton épouse, j'ai pris conscience que je franchissais une porte que je croyais à jamais fermée. Je pouvais à nouveau aimer et partager au sein d'un couple et d'une famille. Delphine a très vite pris de la place dans mon cœur et je la considérais déjà comme ma propre fille. C'est d'ailleurs ce qui me déchire le plus car, avec vous deux, j'ai touché du doigt un bonheur qui ne me sera peut-être jamais plus accessible.

Et si je suis partie c'est pour elle. Pour elle et pour toi.

En acceptant ta demande, je me doutais que nous allions essuyer des vents contraires mais je ne m'attendais pas à un tel ouragan. Mais voilà, on ne nous permet pas de nous marier. S'il ne serait agi que de quelques citoyens revêches et peu ouverts, je l'aurais très bien supporté. Mais ni la loi, ni les autorités anglicanes ne nous y autorisent. Cela a été mon premier choc.

À celui-là s'est ajouté un second, celui de perdre mon travail, parce que mon choix de vie et de relation ne correspondaient pas aux dictats de ceux qui m'employaient. Ils espéraient sûrement ainsi que je renierai ce que je ressentais pour toi et reviendrai repentante vers de meilleures dispositions. Un chantage des plus absurdes qui, tu t'en doutes, était au-delà de mes forces.

Mais ce que tu ignores probablement, c'est qu'il y a eu un troisième élément qui a fait basculer toutes mes convictions. Je tairai les noms car ils importent peu à présent, mais j'ai été le témoin d'une conversation qui m'a ouvert les yeux sur la société, celle-là même pour laquelle j'avais pourtant bâti tant d'espoir. Cette société bien pensante n'est pas prête, Sebastian. Elle n'est pas prête d'être celle que j'espérais. Elle n'est pas prête d'être juste et équitable.

Le fait est là: aucun enfant de couleur ne sera jamais accepté dans cette école. Et rien que de savoir que je ne pourrais jamais accueillir Delphine dans ma classe m'a brisé mes derniers espoirs.

J'ai essayé d'imaginer ce que serait dès lors ma vie à Avonlea, en vain. Aucune solution ne m'était supportable. En conséquence, je suis partie pour te permettre de refaire ta vie et moi la mienne. Pour que tu puisses, un jour, offrir à Delphine la scolarité et le noyau familial que tu avais promis à Mary.

Comprends-moi, je n'ai pas pris cette décision sur un coup de tête. Mais contrairement à toi, je n'ai pas d'attache ici, à part nos quelques amis communs. Je n'ai pas non plus de famille à nourrir et à héberger. Je n'ai ni maison ni terres à entretenir, comme toi.

Tu es un homme exceptionnel Sebastian, n'en doute jamais. Mary à eu beaucoup de chance de partager ces quelques années à tes côtés. J'ai découvert en toi un homme bon, honnête et courageux. Tu m'as fait rire, tu m'as même fait chanter, tu m'as fait rêver à travers tes histoires. Tu m'as ouvert ton cœur alors qu'il était en peine. Tu as comblé le mien durant ces derniers mois. Tu m'as donné l'occasion de connaître et d'aimer ta fille, ton trésor.
Vous me manquerez et c'est d'ailleurs déjà le cas.

Je te souhaite sincèrement d'être heureux et que tu trouves la paix et l'équilibre. Delphine a un père extraordinaire et elle ne pourra que l'être également. Elle continuera à faire ta fierté, j'en suis sûre.

J'espère que, par cette première et dernière lettre, j'aurai répondu à tes interrogations et apaisé ton esprit pour que tu ailles de l'avant comme je vais essayer de faire de même.

Avec toute ma tendresse,
Muriel

Avec toute ma tendresse,Muriel

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