Lettre de Anne à Gilbert - le 16 novembre

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Mon tendre Gil.
J'espère que ce courrier te trouvera en bonne santé.

Tout d'abord, milles excuses pour ne pas t'avoir écrit plus tôt. Mes journées filent tel un cheval au galop et dont je n'arrive pas maîtriser les rennes. Mais tu vas me trouver bien ingrate de me plaindre, alors que tu travailles d'arrache-pied pour mener de front tes études et ton travail.

Sache seulement que j'ai bien employé mon temps libre ces deux dernières et longues semaines à rédiger le fameux article, celui-là même que tu ne doutais pas que j'écrirais et qui pourtant m'a donné bien du fil à retordre. J'ai dû m'y reprendre bien des fois car il n'était jamais à la hauteur de l'hommage que je désirais rendre à Muriel et à Bash. Une fois que l'article fut, selon moi, enfin fini, je l'ai recopié en plus d'une douzaine d'exemplaires et les ai envoyés à des journaux locaux et nationaux.

J'ignore totalement s'il trouvera un œil attentif et intéressé et une bonne âme qui souhaitera le publier. Je ne le saurais peut-être jamais car mon but n'est pas d'y tirer une quelconque gloire mais de dénoncer l'injustice qui a frappés nos amis et probablement bien d'autres personnes.

Je dois cependant t'avouer que, même si l'expérience a été laborieuse, m'a coûté un flacon d'encre et bon nombre de feuilles, je l'ai trouvé exaltante et bouleversante. Mettre tout cela sur papier à été un véritable exutoire, une manière d'enfin accepter que je n'ai aucun pouvoir divin si ce n'est de raconter à qui veut le lire. Et qui sait? Peut-être cela aidera t-il, comme tu le penses, d'autres personnes ? Si je désire toujours devenir enseignante, le plaisir que me procure l'écriture est tout aussi fort. Un jour ferais-je peut-être les deux: écrire et enseigner ?

J'ai bien reçu ta dernière lettre, Gil, et je dois t'avouer que je l'ai lue maintes fois. Ton écriture soignée et tes mots qui n'ont été pensés rien que pour moi m'apportent à chaque fois un flot de bonheur et de réconfort indéfinissables. Tes lettres sont des bulles d'amour qui m'aident à tenir le cap, qui m'emplissent de courage, qui me rassurent sur mes choix et me donnent confiance en l'avenir. Un avenir que je ne peux imaginer sans toi, Gilbert Blythe. Ne l'as-tu pas encore compris?

Nous avons déjà vécu tant de choses toi et moi et j'espère encore bien d'autres. Tu es celui qui me connaît le mieux et que j'ai appris à te connaître et à t'aimer. Beaucoup de jeunes filles rêvent du prince charmant, moi-même autrefois j'en rêvais aussi d'une certaine manière. Mais mon souhait n'est pas de trouver un prince, et qu'en ferai-je, dis-moi ? Non, ce que je désire le plus est de vivre auprès d'un homme qui soit mon égal, une âme sœur tant intellectuelle qu'affective. Qu'avec cette personne, je puisse tisser un lien d'amour durable et que nous soyons tous deux les partisans de notre bonheur.
Et cet homme, ce compagnon de vie, c'est toi Gilbert Blythe et personne d'autre. Tu peux me demander d'attendre le temps qu'il faut, je serais patiente mais ne me demandes plus de réfléchir. Mon choix est fait: Tu es mon choix, si tu veux de moi.

Pour moi aussi ce week-end passé à tes côtés à Avonlea à été un enchantement malgré la situation. Rien ne m'aurait fait plus plaisir et ne m'aurait apporté tant de réconfort. J'ai aussi songé à tous ces moments que nous avions vécus autrefois, des plus beaux aux plus exaspérants, des plus tristes aux plus cocasses. Rien, je ne regrette rien, Gil. Oui, nous aurions pu nous rendre compte plus tôt de ce que nous ressentions, semble-t-il déjà, l'un pour l'autre mais alors aurais-tu commencé les études que tu convoitais tant? Aurais-je entrepris les miennes? Je l'ignore et après tout peu importe! L'avenir est devant nous et ne peut être que radieux!

Je pense (et j'espère) que cette lettre a pu te rassurer sur de nombreux points mais j'ai remarqué qu'il en reste un qui t'inquiète fortement et pourtant sans raison : Cole.
Cole est un ami véritable et pour te faire comprendre la nature de notre relation, imagine le comme mon grand frère que je n'ai jamais eu. Cole m'a toujours soutenu et respecté. Il m'a énormément aidé à canaliser mon énergie et mon flux créatif. Il m'a ouvert encore plus les yeux sur le monde et c'est d'ailleurs lui le premier qui avait remarqué ton attirance pour moi! Cole est un artiste dans l'âme et voit tout avec sensibilité. Te souviens-tu des railleries des camarades d'école et de Mr Phillips qui le punissait toujours sans raison? C'est à ce moment-là que Cole m'a avoué une chose qui lui est personnelle. Je vais te la confier car je sais qu'il t'apprécie et qu'il te fait confiance et ensuite tu comprendras pourquoi tu n'as pas à en être jaloux.
Cole aime à sa manière, son cœur est pris mais non par une jeune femme mais par un jeune homme. Voilà son secret et je te sais largement ouvert d'esprit pour comprendre. Sa particularité n'est guère acceptée et cela rend sa vie parfois difficile. Heureusement il a trouvé en Miss Barry une mécéne attentionnée et généreuse qui lui permet de vivre tel qu'il l'entend et qu'il le souhaite.

Quant à la taquinerie que je t'ai sournoisement lâchée avant ton départ, elle faisait référence à une conversation que nous avions eu, Cole et moi, alors que nous devisions sur l'amour dans les bois d'Avonlea. En ce temps-là, nous désespérions de trouver un jour deux êtres qui voudraient nous aimer tels que nous étions, moi la jeune fille peu gracieuse et la tête pleine d'histoires, lui le jeune artiste aux goûts féminins. C'est alors que nous nous sommes promis que, si nous ne trouvions pas notre moitié, nous nous marierions un jour ensemble. Sur le coup, cela nous avait semblé une idée formidable. Nous aurions ainsi conservé notre amitié et chassé les médisants. Mais c'était bien avant que je prenne conscience que tu possédais déjà mon cœur ! Cole, quant à lui, ne prête plus attention à ce que l'on peut dire derrière son dos et assume sa différence avec beaucoup de classe.

Voilà, à mon tour j'ai tenu ma promesse de tout t'expliquer et j'espère que les réponses seront à ton goût. Maintenant que j'ai achevé la tâche que je m'étais fixée concernant Muriel et Bash, il ne me reste plus qu'à compter les jours et les semaines avant de retourner dans notre campagne pour y fêter Noël. Je ne sais pas ce que tu as prévu de faire et si tu auras droit à quelques jours de congé. Mais si tu en a la possibilité, rien ne me ferait plus plaisir qu'on s'y retrouve pour les fêtes. Mais c'est probablement trop te demander.

Je t'aime Gilbert
Tu me manques déjà énormément.
Avec toi en pensées.
Pour toujours,
Anne.

Pour toujours,Anne

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Anne avec un e - Lettres et confidencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant