C'est alors que nous partîmes sur la route de la gare. Il avait cessé de neiger depuis des heures mais les nuages gris persistaient. Le tapis blanc avait presque disparu. Gil avait attaché son sac à la selle et était monté derrière moi.
J'aimais sentir ses bras proches de ma taille alors qu'il tenait les rennes et ses cuisses longeant les miennes. Je basculai ma tête contre son torse, sa tête juste à côté de la mienne. Sa chaleur m'enveloppait, son souffle s'emmêlait à mes mèches rebelles.Nous étions plongés depuis de longues minutes dans un silence durant lesquelles nous profitions tous deux de cette promiscuité, lorsqu'il soupira. Il arrêta sa monture, en descendit et me prit par taille pour me faire descendre à mon tour. Je le regardais sans comprendre.
- Je dois te parler.
Son ton était sévère et son regard fuyant. Je sentis mon cœur s'accélérer dans ma frêle cage thoracique. Il prit les rennes de son cheval et continua le trajet à pied. Surprise, je me mis aussi en route et le rattrapai.
- C'est à cause de la discussion d'hier, avec Matthew ? Lui demandai-je anxieuse.Gilbert s'arrêta et me regarda enfin. Il me fit un sourire, pencha un peu la tête et me dit:
- Matthew est un bon tuteur et son coeur est celui d'un véritable père. Tout ce qu'il veut, tout ce qui compte pour lui, c'est ton bonheur, Anne. Vous avez eu beaucoup de chance de vous trouver.Gil prit une mèche de cheveux qui chatouillait sur mon visage, joua un peu avec elle en la regardant intensément et la glissa derrière mon oreille.
- Anne, nous nous sommes jurés de tout nous dire, pas vrai ?
Je hochai la tête, muette d'inquiétude.
- Et selon les convenances, j'aurais déjà dû te faire ma demande, il y a longtemps...
Il arrêta de parler, cherchant ses mots et me laissant dans l'expectative. Je ne pus rester sans réagir:- Mais ? Lâchai je d'une voix tremblante.
Il prit une grande inspiration.
- Ma maison est à Avonlea, j'étudie à Toronto et toi à Charlottetown. J'en ai encore pour des années d'études et toi, tu dois continuer les tiennes. Je mène une vie en ville dans une minuscule chambre alors que toi tu adores les grands espaces et la campagne... Et je... je n'ai pour le moment aucun moyen de subsistance à t'offrir!
Il baissa les yeux, contrit, et continua en me prenant la main :
- Je ne veux pas t'imposer une vie pareille et... je ne peux pas t'obliger à attendre tout ce temps ! J'ignore quand cela sera possible, si j'aurais un jour une bonne situation et où je trouverai du travail. Alors je te demande de réfléchir à tout cela, tu es jeune, jolie, intelligente et je ne veux pas t'empêcher de vivre !Je restais stupéfaite par ses aveux tout droit sortis de son cœur. Durant ses mots, le mien avait fait des bonds d'angoisse et au final il me demandait quoi ? De réfléchir ?
Je voulus lui dire, lui décrier, que j'avais déjà réfléchi à tout cela mais il m'interrompit en mettant son doigt sur mes lèvres et en me faisant promettre de réfléchir encore.
On reprit le pas en silence. Je compris qu'il ne ferait pas sa demande et pourquoi.Nous approchions de la petite gare et il attacha son cheval à un piquet.
- Tu sais, je dois t'avouer que j'ai bien failli te demander en mariage un jour, me dit-il en souriant à ce souvenir. J'étais même prêt à mettre un genou au sol !
Je le regardais, éberluée et curieuse.
- Quand ? Où ?
« Qu'est-ce qui t'en a empêché ? » Pensais-je ensuite dans ma tête qui tournait.
Mais le sifflement caractéristique du train qui approche nous fit nous retourner vers le quai où quelques voyageurs commençaient à se rassembler.Il détacha rapidement son sac, le porta à son épaule et me claqua un bisou sur mes lèvres avec un sourire railleur. Voyant qu'il n'allait pas me répondre et ne voulant sûrement pas en rester là, je me décidais de lui répliquer sur le même ton de la taquinerie :
- Tu sais, si tu ne te décides pas à me demander ma main, je pourrais toujours épouser Cole!
Jaloux, il réagit immédiatement et me demanda que je lui explique mais le train arrivait.J'avais eu ma petite revanche, même si ce n'était pas très correct de ma part. Il fronça les sourcils, comprit que je le titillais et posa ses affaires dans le wagon.
Il en ressortit tout aussi vite, pour m'embrasser hardiment devant les passagers, les uns choqués, les autres curieux.
- Tu me dois des explications, Anne. Insista t-il, soupçonneux.
- Toi aussi ! Tu me raconteras ? Lui répondis-je en retour.Je ne voulais pas que nous nous quittions dans les larmes aussi valait-il mieux de le faire sur le ton de la badinerie.
Nous nous promîmes de nous écrire.
Il m'embrassa à nouveau.
Le sifflet retentit.
- Et tu me promets de réfléchir? Sérieusement ?
J'acquiesçai à nouveau alors que de la vapeur sortait des rouages et que la machine commençait à s'ébranler avec bruit. Il sauta dans le wagon in extremis sous le regard mécontent du chef de gare.
- Je t'aime! Me cria-t-il à la fenêtre alors que le train partait.
- A-I-M-E. Épela t-il ensuite alors que le brouhaha couvrait déjà sa voix.
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Anne avec un e - Lettres et confidences
FanfictionFanfiction épistolaire qui fait suite à la dernière saison de Anne with an E. Les personnages sont issus du roman de Lucy Maud Montgomery et/ou de la série télévisée qui en est inspirée diffusée en trois saisons sur Netflix (2017-2020). Illustration...