Anne avec un e - Lettres et confidences

Journal d'Anne le samedi 19 septembre

Cher journal,
Ces premières semaines sont passées si vite, nous arrivons bientôt en automne et je n'écris pas dans ce cahier aussi souvent que je le souhaiterais.
Moi qui avait l'habitude autrefois de courir et chevaucher à travers les plaines et les forêts, à travailler aux champs, faire les corvées, marcher ou danser, je ne m'attendais pas à ce que rester assise tant d'heures durant à apprendre toutes ces choses pourrait être si fatiguant!

Je dois avouer que les matières que nous apprenons ici ne sont pas toutes à mon goût mais j'essaye de trouver comment chacune pourrait m'être utile pour mon avenir.
Bon, la géographie, l'arithmétique et l'écriture me semblent fondamentales. Je trouve les sciences passionnantes et la littérature reste pour moi un plaisir. Le français est difficile mais me permet de découvrir des auteurs qui m'étaient jusque là inaccessibles. J'adore particulièrement l'éloquence, même si on me reproche souvent l'usage de mots trop complexes pour de futurs jeunes élèves. Mais comment pourraient-ils un jour les connaître s'ils n'y sont jamais confrontés ?
Nous avons également des cours qui me semblaient bien moins utiles de prime abord, comme la cuisine qui m'a donné par la suite des idées d'expérience sur les poids et mesures mais également sur la chimie ou la physique. Je reste très maladroite en dessin. Le point de croix est une torture car il nécessite de rester assise sans bouger à s'appliquer sur un carré de tissu. Ne parlons même pas du tricot, du maintien et de la bienséance!

Dimanche dernier, comme presque tous les dimanches, nous avions été invitées, Diana et moi, chez la tante Josephine. C'est une joie pour moi d'y retrouver Cole. Nous y prenons le thé avec des pâtisseries, faisons la lecture, peignons et dessinons. Enfin, Cole et Diana dessinent, moi j'accepte parfois de pauser même s'il paraît que je fais un bien mauvais modèle tellement je bouge! Cela fait rire tante Josephine qui dit apprécier notre jeunesse auprès d'elle.

Demain, nous irons à un vernissage. Je ne connais pas du tout ce genre de réception mais cela va être captivant. C'est un camarade de Cole qui expose. À le voir nous expliquer avec exaltation le talent de peintre de son ami, j'ai décelé une petite lueur dans ses yeux. Un peu comme celle qu'avait Gilbert lorsque nous dansions ensemble. Peut-être me fais-je des idées? Je suis si heureuse que je souhaite que mes amis proches connaissent le même bonheur. Je suis toute excitée et impatiente d'être à demain.

Je me suis faite quelques nouvelles amies ici mais je reste encore souvent avec celles d'Avonlea. Elle ignorent encore mon secret même si elles s'interrogent sur les mystérieuses lettres hebdomadaires en provenance de Toronto.

Par contre je n'ai pas aimé mentir, ou plutôt cacher la vérité à Marilla dans ma lettre. Elle qui a tant fait pour moi, j'ai bien remarqué dans ses mots qu'elle s'inquiète. Mais un jour, je lui dirais tout et elle sera heureuse, j'en suis sûre.

Cela fait bientôt deux mois que je n'ai pas vu Gilbert et il me manque. Nous nous écrivons avec ponctualité toutes les semaines. Je n'ose lui écrire plus souvent. Ses études lui prennent beaucoup de son temps et je ne voudrais pas le distraire dans la réalisation de son rêve. Mais notre étreinte a été si brève et nos baisers si empressés et maladroits... J'ai parfois peur que ce soit comme dit le proverbe français: Loin des yeux loin du cœur.

Nous nous sommes bien expliqué par écrit sur les quiproquos qui ont failli ruiner notre amour avant même qu'il ne commence. Des mots qu'on n'a pas osé dire, deux lettres qui n'ont pas été lues. Comme quoi le bonheur peut tenir à pas grand chose! J'ai compris à présent la différence entre l'amitié et l'amour. Il apparaît de plus en plus que nous étions destinés à être ensemble même si nous avons mis du temps à le comprendre.