EQUILIBRE INSTABLE [MEKRA]

Chapitre 22

Hakim n'avait pas bougé depuis des heures. Il était seul, les fesses vissées sur son canapé, une manette de PlayStation soudée dans les mains, à fixer son écran ultra HD. Quelques bouteilles de bières vides témoignaient de la tristesse de ce moment, et il se sentait lui-même un peu pathétique de de se mettre dans cet état pour une femme. Mais elle n'était pas qu'une femme, elle était Maé.

Après des mois à lutter contre ses instincts, il avait cédé à la tentation. Au fond, il ne regrettait pas, mais ça n'avait en rien arrangé les choses. Au contraire, il savait désormais ce que c'était de vivre des moments d'intimité avec elle, il avait été frappé par sa beauté naturelle lorsqu'il lui avait fait l'amour, avait pu s'imprégner de son odeur. Il sentait encore ses mains douces et délicates le caresser, et il se demandait bien comment il allait pouvoir tirer un trait sur tout ça.

Il ressentait le besoin d'en parler avec quelqu'un, de se confier, une fois n'est pas coutume, à un de ses frères. Mais il avait bravé l'interdit, franchi la limite des convenances, et pour ne pas mettre Maé dans une situation inconfortable voire carrément merdique, il décidait de garder ça pour lui. S'il devait se résoudre à garder ça pour lui, il préférait encore rester seul et ne pas avoir à se confronter au regard pesant de ses frères. Parce qu'il ne fallait pas se leurrer, il aurait droit à un interrogatoire en bonne et due forme, et dans son état, il aurait probablement pété une durite. 

Mais visiblement, le calme et la déprime en solitaire, ce n'était pas pour tout de suite.

- Mekra, bouge ton cul, t'es sérieux à picoler en plein après-midi tout seul ? Lui lançait son fidèle ami Ken, en pénétrant dans son appartement sans prendre la peine de s'annoncer.

- Je picole pas, je me détends. Il répliquait de manière plus agressive qu'il ne l'aurait voulu.

- C'est vrai que tu as l'air bien détendu là... il ironisait.

- Commence pas, je suis pas d'humeur.

En posant sa manette sur la table basse, il relevait la tête vers son ami. Ken était d'humeur joviale, comme depuis plusieurs mois. Avoir réglé ses problèmes avec Valentine l'avait transformé, et pour la première fois de sa vie, Hakim ressentait une pointe de jalousie en voyant le bonheur d'un de ses frères.

- Je suis mort, il m'a tué le déménagement de Maé... Il se lamentait en s'appuyant sur le dossier du canapé, ignorant volontairement l'aigreur flagrante de son frère.

- T'as porté deux cartons, de quoi tu parles... Il répondait en levant les yeux au ciel.

- C'étaient des cartons vachement lourds ! Il geignait, faussement vexé. Au fait, en parlant de Maé, Valou m'a dit un truc de fou tout à l'heure, je suis sûr que ça va te faire marrer ! Elle est persuadée qu'elle et toi, vous vous tournez autour, et ...

- J'ai passé une bonne partie de la nuit chez elle. Il le coupait

Ça lui avait échappé. Comme si son cerveau n'était plus un filtre à ses paroles, il avait claqué cette phrase sans pouvoir la retenir. Il avait pourtant décidé de garder le secret, mais en avait été incapable. Et visiblement, l'onde de choc était violente. Ken affichait des yeux ronds et grands ouverts, sa mâchoire semblait vouloir se détacher du reste de son visage, et ses bras pendaient de part et d'autre de son corps.

- Pardon ?! S'exclamait Ken. Vous avez ... ? il laissait sa phrase en suspens, comme si prononcer ces mots pouvaient rendre la situation trop réelle.