EQUILIBRE INSTABLE [MEKRA]

Chapitre 39

Attablées en terrasse, comme elles en avaient désormais l'habitude, Maé et Lydia discutaient tranquillement, profitant du soleil chaud qui brillait en cette fin d'été. Si habituellement, leurs rencontres étaient gaies et joyeuses, c'était plus difficile aujourd'hui de les voir esquisser un sourire.

Leur relation n'était pas vraiment conventionnelle pour une mère et une fille, mais elles s'apprivoisaient doucement, apprenaient à se connaître, et s'entendaient bien. Plusieurs semaines avaient passées depuis l'arrivée fracassante de la quadragénaire dans la vie de la jeune femme, et contre tout attente, le lien était déjà fort.

- Tu repars quand ? Elle demandait doucement

- Je repars la semaine prochaine. On a un sacré équipage au départ.

- D'accord...

- Maé, elle murmurait en attrapant sa main posée sur la table. J'aurais voulu retarder mon départ, mais tu sais qu'ils ne m'attendront pas. On pourra s'écrire et s'appeler, si tu veux bien. Maintenant que j'ai l'impression de t'avoir un peu retrouvée, je voudrais vraiment qu'on garde le contact.

Evidemment qu'ils ne l'attendraient pas. La mission était préparée par les équipes scientifiques de plusieurs pays depuis des mois, alors il n'y avait pas d'alternative possible. Il fallait être au port, à l'heure, sinon, elle faisait une croix définitive sur sa participation au projet. Et puis elle n'était pas à Paris dans l'idée de s'y installer. Si elle était là, c'était pour rencontrer de potentiels sponsors, pour mettre en place des stratégies de communication, et élaborer des supports pédagogiques. Son séjour Parisien était à durée déterminée, et la finalité, c'était bien la mission.

L'objectif de la mission était très simple : identifier, étudier et décrypter le fonctionnement de l'océan. Et pour cela, les chercheurs allaient se pencher sur le microbiome, les micro-organismes, fondamentaux pour l'écosystème. Ils allaient partir presque 2 ans en expédition, suivant un itinéraire très précis pour tenter d'apporter des réponses à la science. Tout un programme, donc.

Lydia était une passionnée, elle avait dédié sa vie à la recherche, et Maé avait la sensation de voyager juste en l'écoutant parler. C'était une femme brillante, et entière. L'imaginer repartir en mer pour de longs mois voire de longues années, provoquait en elle un violent pincement au cœur. Maintenant qu'elle avait mis un visage, une voix, une histoire, sur le mot « mère », elle avait du mal à s'imaginer la laisser partir. Mais elle n'avait pas le choix. Elle ne lui laissait pas le choix. Alors elle l'écoutait avec attention, essayant de mémoriser autant que possible tout ce qu'elle lui racontait sur sa vie, enregistrant le son de sa voix, et la couleur de ses yeux.

C'était difficilement explicable avec des mots, mais elle avait réellement pris la décision de faire table rase du passé, et de se concentrer sur ce qu'elle avait, dans le présent. Elle avait vécu 26 ans sans cette femme, avait souffert de son absence, l'avait imaginée heureuse sans elle et avait dû bâtir sa vie avec la haine qui la hantait. Seulement, désormais, elle était là. Elle connaissait l'histoire de cette mère fantôme, connaissait son passé et les raisons qui l'avaient poussée à laisser derrière l'enfant de quelques jours qu'elle était. Si elle avait eu bien plus de mal à accepter ses explications quant au fait qu'elle n'était pas réapparue avant, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir de l'empathie pour elle. Elle avait fait de mauvais choix, elle n'avait pas pris ses responsabilités, elle avait fui lâchement devant certaines difficultés, c'était un fait. Elle ne comprenait pas comment elle avait pu faire ça, mais elle comprenait que parfois, dans la vie, tout n'est pas tout blanc, ni tout noir.

Elle avait encore tant de choses à apprendre d'elle, tant de choses à lui dire. Elle était loin de l'appeler Maman, ou de la considérer réellement comme telle, mais désormais, elle voulait la laisser occuper une place dans sa vie. Pas forcément une place majeure, mais une place. L'arrivée de Lydia, elle parvenait à l'appréhender comme quelque chose de positif. Comme un bonus.