Chapitre 46

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Maé avait du mal à déterminer si le temps passait vite ou au contraire lentement sur le bateau. Elle avait l'impression d'être partie la veille, et en même temps, que cela faisait une éternité qu'elle était en mer. Les moments qu'elle était en train de vivre étaient incroyablement riches. Epuisants, mais riches. Aucun jour ne se ressemblait, même durant les périodes où ils restaient statiques pour effectuer des analyses d'échantillons, ou observer le comportement de certaines espèces. Elle ne s'ennuyait que si elle le désirait, elle prenait le temps de penser, de lire, de regarder. Elle qui avait toujours foncé tête baissée pour atteindre toutes sortes d'objectifs, était vraiment libérée d'un poids. Elle ne courrait plus après le temps, elle le savourait.

Au-delà de ça, c'était une expérience humaine incroyable qu'elle menait. Elle apprenait à découvrir sa mère, mettant ses rancœurs de côté et appréciant son contact un peu plus jour après jour. Elle découvrait également la vie en communauté dans un espace très restreint. Tout était tellement étroit et étriqué sur ce bateau. Ce n'était pas chose aisée d'être entassés à plusieurs, 7 jours sur 7, et 24 heures sur 24, sans possibilité de réellement s'isoler ou de préserver son intimité. Mais ça faisait partie intégrante du voyage, elle parvenait à se faire une raison. De véritables liens se créaient dans ce genre de situation, elle savait que toutes les personnes présentes sur le voilier feraient partie de son histoire à tout jamais.

Elle avait ce qu'elle avait recherché. Un sens. Ce qu'elle faisait avait un sens. Il ne s'agissait pas de traiter des documents administratifs ou de chercher à optimiser le profit d'une entreprise cotée en bourse. Il s'agissait de comprendre notre environnement, de chercher des solutions pour le préserver, et d'éduquer les populations à la protection de la nature. Pour le préserver, notre environnement, il fallait le comprendre, en profondeur. 

Elle appréciait particulièrement les moments où ils intervenaient dans les écoles. Elle savait que les générations futures seraient décisives pour l'avenir de la planète, il fallait faire de la pédagogie, et c'était une des missions de l'expédition qu'elle préférait. Elle qui n'avait jamais été très à l'aise à l'idée de prendre la parole en public, se sentait pousser des ailes quand elle abordant ce sujet qui lui tenait désormais tant à cœur. Elle était vraiment pédagogue, elle savait capter l'attention de son auditoire. 

Elle adorait ce qu'elle faisait, elle se sentait utile, elle s'épanouissait, mais il y avait une ombre au tableau. Le manque. Le manque de son père, le manque de sa grand-mère qui elle le savait, vieillissait de mois en mois, le manque de ses amis laissés à Paris. Le manque d'Hakim aussi. Surtout. Si elle était restée en contact quasiment quotidiennement avec sa famille et Valentine, elle subissait le manque des autres. Elle avait envisagé la possibilité d'écrire encore de nombreuses lettres à l'homme qu'elle aimait, pour lui décrire ses journées, pour coucher sur papier ce qu'elle ressentait, pour lui faire part de ses questionnements, de ses doutes. Mais la révélation de sa paternité future avait avorté ses plans. Ils n'étaient pas vraiment maîtres dans l'art de la communication. Ils peinaient à se confier mutuellement leurs sentiments et leurs émotions lorsqu'ils étaient face à face, alors sans aucun contact depuis des mois, leurs esprits étaient livrés à eux même, livrés aux doutes et aux tergiversations.

Depuis l'annonce faite par Valentine, quelques semaines plus tôt, son cerveau lui soufflait le chaud et le froid. Parfois, elle se disait qu'un enfant, c'était si beau, si grandiose, qu'elle pouvait jouer un rôle dans sa vie. Il serait l'enfant de l'homme qu'elle aimait, inévitablement, elle avait envie de le rencontrer et d'épauler Hakim dans cette aventure. Ca lui donnait envie de se battre pour récupérer ce qui lui appartenait, dès son retour.

Mais parfois, le doute la prenait, elle n'était plus sûre de rien, remettait tout en question. Elle se sentait vite idiote, se convainquant que Hakim ne voulait plus d'elle auprès de lui. Il avait eu sa lettre, elle le savait, et il n'avait rien fait pour y répondre. 

EQUILIBRE INSTABLE [MEKRA]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant