En ouvrant la porte de chez elle, Maé se sentait comme figée. L'ambiance pourtant habituellement si bonne dans leur foyer, lui sautait à la gorge et la lui serrait. Un silence lourd et pesant régnait dans la pièce, alors que père et fille se trouvaient dans l'appartement. Normalement, en rentrant le soir, elle les trouvait assis l'un à côté de l'autre. Ils discutaient, écoutaient de la musique ou regardaient le replay d'un match de foot, ou de basket en mangeant des cochonneries. Mais là, rien. Juste le silence. Elle ressentait au fond d'elle-même cette tension presque palpable, avant même de refermer la porte derrière elle.
Après avoir fait quelques pas en avant, lentement, Maé trouvait son mari, comme déconnecté de la réalité. Hakim était assis à table, le regard dans le vide, les mâchoires serrées, les sourcils froncés et le genou sautillant de nervosité. Elle partageait sa vie depuis suffisamment longtemps pour comprendre que quand il s'enfermait dans un tel mutisme, c'était que quelque chose ne tournait pas rond.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? Demandait Maé, l'inquiétude montant en flèche face à son manque de réaction.
- Y'a rien. Il grognait.
- Hakim, dis moi ce qui se passe !
- Demande ça à ta fille, il grognait encore, en montrant le couloir menant à sa chambre de la tête.
Nour, la petite-fille qu'ils avaient eu ensemble, allait fêter ses 16 ans quelques jours seulement plus tard. Elle était d'ordinaire littéralement scotchée à son père, en permanence. Enfant, elle partait systématiquement se réfugier dans les bras de son père quand elle avait besoin d'être consolée. S'il fallait donner la main pour traverser, elle attrapait la main de son père. S'il fallait jouer, chahuter, elle ne voulait que son père. Maé n'était pas jalouse de cette relation fusionnelle qu'elle voyait se développer sous ses yeux, et dont elle était un peu exclue. Au contraire, elle était fière. Elle les adorait, tous les deux, plus que tout au monde. Même quand elle se sentait un peu de trop.
Souvent, elle se félicitait d'avoir réussi, malgré leur parcours semé d'embuches, à bâtir une famille solide, avec des relations saines. Les désaccords étaient rares, et il y avait toujours un membre de cette famille pour désamorcer les bombes et éloigner les conflits.
Hakim aussi était fier de ce qu'ils avaient construit, et savait qu'il était chanceux. Il approchait dangereusement de la cinquantaine, la vie lui avait donné une femme merveilleuse et des enfants incroyables. Il savait qu'il avait de la chance, il savait.
- Hakim, c'est à toi que je le demande ! Qu'est-ce qui se passe ?
- Elle a fait tomber son sac devant ma gueule. Il crachait. Tu sais ce qui en es tombé ? Des capotes !
- Et c'est pour ça que tu es dans cet état ? Sérieusement ?
- Maé, elle a des capotes dans son sac putain, tu sais ce que ça veut dire ou pas ?
- Oui merci, j'en ai utilisé bien avant elle, elle pouffait devant sa mine décomposée.
- C'est vraiment pas drôle, moi ça me fait pas rire du tout !
Maé observait quelques secondes son mari et commençait à comprendre qu'ils avaient probablement eu une violente altercation à ce sujet. Le père de sa fille avait une légère tendance à vouloir surprotéger sa progéniture, et elle n'était finalement pas surprise que la découverte ait été difficile à encaisser pour lui.
- Elle est dans sa chambre ?
- Ouais
Des deux, Hakim était celui qui avait le plus de mal à admettre que ses enfants grandissaient et s'émancipaient. Quand Malik était parti faire ses études à Berlin, il avait littéralement pété les plombs, gratifiant son entourage de ses pires humeurs, faisant subir à tout le monde sa détresse enfouie de voir que son gamin partait vivre sa vie sans lui. Il faisait son maximum pour se donner l'air d'avoir encore un rôle prépondérant dans sa vie. Il payait les études, il offrait les vacances, il téléphonait autant qu'il le pouvait. Il était terrorisé à l'idée que le lien entre eux se rompe. En réalité, il ne se rendait pas compte que tout ce qu'il avait fait pour Malik, pour Nour, était gravé dans leur cœur et leur âme, et que quoi qu'il arrive, il serait toujours l'humain le plus important de leur vie. Il avait grandit sans père, il avait simplement fait ce qu'il pouvait, épaulé par Maé, et il était incapable d'évaluer ses actes.
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EQUILIBRE INSTABLE [MEKRA]
Fanfic"Pour croire avec certitude, il faut commencer par douter." HAKIM x MAE