EQUILIBRE INSTABLE [MEKRA]

Chapitre 47

Eric avait vu juste.

Maé n'était pas rentrée à Paris.

Même pas pour une visite express. Pas un seul de ses orteils n'avait foulé le sol de la capitale et ça se comptait désormais en années.

Dès son retour d'expédition, elle s'était focalisée uniquement sur son père et sa grand-mère avec une volonté de revenir aux sources et de passer du temps avec ceux qui avaient toujours été présents pour elle. Tout avait été tellement intense, qu'elle avait ressenti le besoin de revenir à son point de départ. Son absence les avait fait terriblement souffrir, elle voulait leur prouver qu'elle était là, qu'elle avait toujours été là, et qu'ils restaient sa priorité, même après des mois loin d'eux.

Elle avait hésité longtemps à aller rendre visite à Ken et Valentine, notamment en raison de l'insistance de son amie, et dans l'idée d'enfin rencontrer Zoé. Mais tout avait trop changé pour qu'elle y retourne comme ça. Ils n'attendaient que ça, eux, mais elle ne s'en sentait pas capable. Elle préférait envisager de les revoir dans un premier temps dans un lieu neutre, loin de Paris.

Hakim était devenu le papa d'un petit garçon prénommé Malik, Ken avait sorti un album solo qui avait fini de le propulser sur le devant de la scène nationale et maintenant internationale, Valentine avait terminé ses études avec succès malgré son année sabbatique à la suite de la naissance de Zoé. Tout le monde avançait, tout le monde évoluait, et elle n'avait pas pris part à tous ces changements. Plus le temps passait, et plus elle doutait de sa légitimité dans leurs vies. Parfois elle se disait qu'ils avaient vécu de bons moments, mais qu'en fin de compte, ça avait été plutôt court.

Et puis c'était sans compter qu'elle savait pertinemment que certains d'entre eux nourrissaient à son égard de grandes rancœurs. Aussi légitimes soient-elle, ces rancœurs étaient le principal frein à son retour dans la capitale. Elle avait du mal à s'imaginer débarquer au milieu de tout ça, alors qu'elle avait brillé par son absence pendant quelques années et qu'à part Ken et Valentine, personne ne voulait d'elle. Elle avait fait souffrir un des leurs, elle était rayée de la carte, point barre. Valentine ne s'attardait jamais sur l'opinion que le groupe avait d'elle, sûrement pour ne pas la vexer ou la faire culpabiliser, mais ça contribuait à mettre des idées faussées dans la tête de Maé.

Après quelques temps sur le sol Français, à profiter de sa famille, Maé avait repris son périple durant plusieurs mois, pour se consacrer à un tout autre projet, destiné à aider les petites filles du Niger à accéder à l'enseignement et à mener une scolarité à peu près normale. Elle s'était livrée corps et âme, elle avait donné de sa personne pour permettre à autrui d'espérer un meilleur avenir. Cette expérience, mêlée à celle de la mission sur le bateau, avait fini de révolutionner considérablement son existence. Si elle avait adoré s'imaginer apporter des réponses à la science, c'était encore autre chose de réaliser qu'elle avait probablement bouleversé le destin de dizaines de fillettes.

C'était ça, sa vie, désormais. Pour rien au monde elle ne serait revenue en arrière. Quand on avait goûté à toutes les émotions que procurent un tel engagement, il était absolument impossible de faire demi-tour. Sa mission humanitaire devait durer un an, il lui restait encore quelques semaines, mais elle avait déjà préparé sa demande de prolongation. Elle était chargée, au sein du programme, de l'enseignement de la lecture et des bases des mathématiques, et de l'approvisionnement en matériel et fournitures scolaires. Tout comme durant sa mission scientifique, elle trouvait un sens à ce qu'elle faisait, et elle aurait pu déplacer des montagnes pour réussir à atteindre ses objectifs. Un an ne suffisait pas, elle voulait continuer. 

Un coup de fil de Valentine, qui n'avait jamais manqué un seul de leurs rendez-vous téléphonique depuis son départ, était venu perturber son équilibre dans.