EQUILIBRE INSTABLE [MEKRA]

Chapitre 34

« Equilibre Instable : Se dit d'un équilibre présenté par un système qui, écarté légèrement de sa position d'équilibre, s'en éloigne, pour retrouver un état d'équilibre différent. »

Hakim commençait à monter les escaliers le menant à son appartement, suivi de près par Ken. Ce dernier avait demandé l'hospitalité à son meilleur ami, pour ne pas avoir à passer la nuit sous un pont, effrayé par la bête féroce qui dormait dans son lit. La dispute qui avait éclaté quelques heures plus tôt, n'avait rien de similaire avec celles dont ils avaient l'habitude. Ken avait dû quasiment la torturer pour qu'elle avoue ce qu'elle lui cachait depuis des jours, et sa réaction avait profondément blessé le jeune homme.

Il avait senti son comportement changer, son air inquiet et préoccupé. Quand enfin elle avait avoué, elle avait insisté sur le fait que c'était une catastrophe et qu'elle avait déjà pris rendez-vous pour tout arrêter. Tout arrêter, sans même lui en parler. Ça ne passait pas. Il pouvait tout lui pardonner, mais elle portait son enfant, et il refusait d'être laissé de côté. Ils n'avaient pas la relation la plus saine ni la plus simple, mais il avait trente ans, il aimait Valou plus que de raison. Ils avaient mis des années à se retrouver, ils avaient eu du mal à se rejoindre sur le même chemin, mais maintenant qu'ils y étaient parvenus, il savait qu'il lui dédierait sa vie. Alors un enfant, pour lui, c'était tout sauf une catastrophe. Mais Valentine refusait de l'écouter, refusait d'entendre ses arguments.

Dans les escaliers, ils croisaient une femme, l'air bouleversé, et les yeux rouges. D'un très discret "bonsoir", ils se saluaient, avant qu'elle ne reprenne son chemin. L'instinct peut-être, ou certains traits de son visage, provoquaient une sensation de danger chez Hakim. Il l'observait descendre les marches, analysait sa gestuelle, et comme poussé par une force inexplicable, il sentait qu'il devait se dépêcher de rentrer chez lui, et montait les marches en courant.

Son cœur avait bien failli se fendre en deux en découvrant l'état de Maé. Elle était allongée par terre, complètement tétanisée, pleurant en silence. Il se précipitait sur elle, mais devait faire face à un véritable mur de glace. Elle n'était pas là, elle était ailleurs, dans un monde parallèle. Il essayait de comprendre, mais aucun son ne parvenait à sortir de sa bouche. Il aurait donné tout ce qu'il avait pour pouvoir s'infiltrer dans son esprit et comprendre ce qui se passait. C'était tout bonnement insupportable de voir la femme qu'il aimait dans un tel état. Le pire lui traversait l'esprit. Une agression, un décès, un viol. Mais il était loin du compte.

- Maé explique moi ce qui se passe, s'il te plaît... Il suppliait.

- J'ai trop mal Hakim. Elle gémissait, comme un animal blessé.

- T'as mal où ? Il s'inquiétait

- Elle est venue.

- Mais qui ?! Explique, merde ! La peur lui faisait perdre patience.

- Ma mère. Elle est venue.

- Qu'est-ce qu'elle voulait ? Il demandait après un long moment de latence.

Il n'aurait pas de réponse à cette question, dans l'immédiat. Les sanglots de Maé ne lui permettaient pas de s'exprimer de manière intelligible. Alors agenouillé à ses côtés, il la tenait fermement dans ses bras, avec la puissante volonté de lui faire comprendre qu'il serait toujours là pour la soutenir et qu'elle pouvait se reposer sur lui autant qu'elle le devait. Mais pour lui aussi, l'onde de choc était violente, et il culpabilisait de ne pas avoir été présent lors de cette visite surprise.

La nouvelle aurait pu être bonne, en soi. Maé venait d'enfin rencontrer sa mère, et ça aurait pu être quelque chose de formidable. Mais le sujet était trop sensible, la douleur liée à son abandon était trop vive. Il avait mal de la voir ainsi, mais il y avait autre chose. Un sentiment très étrange s'emparait de lui. La peur, mêlée à la méfiance et à l'insécurité. Il lui semblait, à cet instant, qu'il y avait eu un « avant » et qu'il y aurait un « après » cet évènement. Il ne savait pas ce que cela allait engendrer, mais il se doutait que ça perturberait leur équilibre et leur futur. Et c'était extrêmement dérangeant d'avoir la sensation de ne pas être maître des évènements et de son avenir.