Chapitre quarante-six

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Eléanor se réveilla le lendemain matin. Elle sortit de sa chambre, descendit les marches des escaliers, se dirigea vers la cuisine et se prépara un petit déjeuner ; comme si de rien n'était. Elle était en train de manger des biscottes pleine de miel et de confiture lorsque Draco la vit. Après avoir passé une nuit plus que tourmentée, le cerveau en ébullition devant tant de questions, tant de peurs, tant d'incompréhension, tant d'inconnues, voir son amie ainsi, assise à table, prenant son petit-déjeuner comme si tout cela était d'un banal absolu, il eut l'impression d'être tombé dans une faille spatio-temporelle où plus rien n'était rationnel. Il n'avait pas les mots, était si intérieurement déchiré – lui courir dessus, la prendre dans ses bras, la serrer immensément fort en lui disant à quel point il l'aimait, lui hurler dessus, lui dire qu'elle aurait dû mieux lui expliquer sa maladie pour qu'il sache à quoi s'attendre, qu'il sache comment l'aider, qu'il ne soit pas aussi impuissant qu'il l'avait été, se mettre à pleurer car elle ne lui avait jamais parlé de ce petit frère dont elle avait murmuré le nom pendant des heures, fuir cette maison car il se haïssait et haïssait son nom et sa famille et tout ce qu'il avait fait – si déchiré, qu'il finit par ne rien faire du tout et rester planté là, les bras ballants.

- Bah alors Malfoy, t'as avalé un porc-épic de travers ou quoi ? T'as une sale mine, si tu veux savoir.

Il se retint de faire ce qui lui passât par la tête en premier – l'étrangler en lui disant que pendant quarante-huit heures il avait craint de la perdre à tout instant – et s'affala plutôt sur une chaise, en face d'elle, sans trouver comme articuler des mots les uns à côtés des autres pour en faire des phrases intelligibles.

- El... murmura-t-il d'une voix un peu brisée sur les bords. Tu sais ce qui s'est passé ? Tu te rappelles ?

Le regard de la jeune fille rousse se fit distant, lointain, presque étranger.

- C'est bon Draco, ce n'est rien, rien de grave. Pas d'inquiétude à avoir.

- Pas d'inquiétude ?! Tu te fous de moi ?

Il s'en voulait de s'énerver, mais il ne savait vraiment pas comment agir. Il n'arrivait pas à trouver un fil de conduite à suivre ; c'était soit la colère, soit la tristesse, soit la détestation de sa personne – et pour le moment, il agissait en faisant un bon mélange des trois.

- Je... enfin, El, rends-toi compte... Tu étais tellement... On a tous cru que – que c'était fini, j'ai cru que c'était fini... Tu ne.. enfin, tu étais devenue...

- Je sais très bien de quoi j'avais l'air, Malfoy, tu n'as pas besoin de me le rappeler.

Son ton se faisait dur, comme de la roche. Cassant.

- Ce n'était rien d'important, nous ferions tous mieux de passer à autre chose. On doit botter le derrière à un démon, je te rappelle.

- Oui, je n'ai pas oublié El, mais...

- Draco, je n'ai pas envie d'en parler, dit-elle d'une voix à présent implorante. Il n'y a rien à dire. Je t'en prie. C'est tout. C'est comme ça.

Malgré ses dires, il vit bien son visage tressaillir, d'abord de manière presque imperceptible, puis de réels tremblements. Une seconde, il eut peur que sa crise ne reprenne, qu'elle retombe de nouveau dans des limbes inatteignables, mais il réalisa rapidement que ce n'était pas une crise qui arrivait. Il réalisa qu'elle pleurait lorsque les premières larmes dévalèrent ses joues, enfouissant aussi vite son visage entre ses mains pour se cacher. El, qu'il n'avait vue pleurer qu'une seule fois depuis qu'il la connaissait ; Draco avait l'impression que sa poitrine était pleine de vide et de froid. Il se rapprocha d'elle, un peu penaud, sans savoir quoi faire pour la réconforter. Il n'avait aucun mot à prononcer, alors il se contenta de lui caresser maladroitement le bras, se sentant complètement stupide.

Un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant