Chapitre vingt-cinq

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Il cherchait El de partout. Il écumait les couloirs, montait les étages, dans tous les sens. Parfois, il croisait des élèves, qui chuchotaient en le fixant bizarrement, mais il ne les entendait pas. Il n'entendait rien. Il était dans une bulle de brouhaha interne qui le coupait du monde. Il voulait trouver El. C'était tout ce à quoi il arrivait à penser. Ses pensées ne voulaient plus se former de manière cohérente ; dès qu'il commençait à formuler une réflexion, celle-ci se désintégrait et retombait en poussière dans son esprit. Il ne sut jamais combien de temps il avait déambulé ainsi dans le château. Il finit, au bout d'un temps incalculable, par trouver une salle. Une salle qu'il avait déjà trouvée auparavant, un soir d'hiver, alors qu'il fuyait. La salle à la fontaine. Là où il s'était réfugié le soir du bal d'hiver, pour échapper au nom de Ginny Weasley, et au regard émeraude. Cela le décontenançait, d'être là, de nouveau. Comme si cette pièce apparaissait exprès. L'eau qui s'écoulait de l'édifice en marbre était plus bleue que jamais, et brillait dans la semi-pénombre. Draco songea à plonger ses mains dans le liquide pour s'abreuver, mais son expérience dans le monde des sorciers agissait comme un grand sigle « warning » rouge lumineux au-dessus de la fontaine. Ne jamais se fier à rien dans l'univers magique, sans être sûr et certain de ses effets. Comme ce soir de décembre, il se contenta donc de se laisser glisser contre le monument de marbre froid. Il encercla ses genoux de ses bras, et enfouit sa tête au milieu.

Il n'en pouvait plus. C'était trop pour lui, c'était la goutte qui faisait déborder un vase qui était d'ores-et-déjà trop rempli depuis des années. Il avait envie d'être laissé tranquille, de s'extraire de la réalité, de prendre un poignard et de taillader un cercle dans l'épaisseur de l'existence tout autour de lui, pour se perdre dans les limbes de l'espace. Il aurait pu prier une force supérieure, un dieu, une déesse, un tout surplombant et omniscient de le laisser en paix, mais il n'y croyait pas. Il n'y avait que lui, ce sol dur et glaçant, son dos collé contre la paroi d'une fontaine à moitié irréelle, et le cosmos tout entier qui s'acharnait sur lui.

Au moins, McGonagall ne le tenait pas responsable pour ce qui était arrivé. Il n'était pas considéré comme suspect, a priori, ce qui était déjà ça de gagné. Cela aurait été pire encore s'il avait, en plus, était vu comme fautif. Il avait l'impression de perdre totalement la tête, d'être fou. Cette fois-ci, ce n'était plus seulement à cause de ses sentiments terrifiants pour son ancien ennemi juré, mais c'était lié à l'idée qu'un danger planait au-dessus d'eux de nouveau. Ne pouvait-on pas leur foutre la paix cinq minutes ? Il n'arrivait pas à comprendre. Qui était cette silhouette ? Un ou une sorcière très puissante ? Une créature magique maléfique ? Un Mangemort déguisé ? Un démon ? Rien de tout cela n'avait de sens. Pourquoi maintenant ? Le mois de février touchait à sa fin. Cela faisait environ dix mois que la guerre était terminée. Pourquoi agir à cette occasion ? Pourquoi utiliser autant de magie pour pétrifier des centaines de personnes, pour seulement essayer de faire tomber le Gryffondor de son balai ? Ce n'était pas logique. Ce n'était pas cohérent. Ça n'avait pas de sens. L'individu avait prononcé quoi, quatre phrases ? Et c'était assez pour tout chambouler. « Ceux qui veulent vengeance », « les derniers fidèles ». Cela faisait écho en lui. Il revoyait sous ses paupières le visage de son père, tordu par la rage. Il se remémorait ces soirées où il devait écouter, bien sagement, son père et ses acolytes déblatérer leurs ignominies. Au début, il ne savait pas. Il ne savait pas que derrière ces mots, il y avait des personnes, comme lui, comme eux, des êtres de chair et de sang, avec des organes, des entrailles, un cœur, des émotions, une famille. Il n'avait pas compris, jusqu'à ce qu'il voit la mort quitter les yeux d'un homme, d'une femme, d'un enfant. Jusqu'à ce qu'il sente le goût métallique du sang dans sa propre bouche. Jusqu'à ce que les hurlements le hantent chaque nuit, dans son sommeil. Avant, les mots n'étaient que des mots, alignés les uns après les autres, enfilés, qui dégoulinaient logiquement, intelligemment, organisés de manière convaincante. Il se remémorait la terreur qui avait été sa compagne pendant ces mois où il avait dû accomplir tant d'actions ignobles. C'était ça, être fidèle au Seigneur des Ténèbres. C'était sombrer dans une torpeur abominable et haïr ce qu'il était à chaque instant. Il se remémorait l'attitude de Lucius Malfoy, après la fin de la guerre. Un comportement qui l'effrayait, lui et sa mère. Il disparaissait, revenait, parlait peu, sauf pour maudire tous ces gens, tous ceux qui avaient été de l'autre côté, ceux qui avaient vaincu. L'amertume se lisait dans ses yeux, gris comme un ciel d'orage qui s'apprête à éclater. Draco se souvenait de tout. Il n'avait pas besoin de réfléchir bien longtemps pour émettre comme hypothèse que ceux qui voulaient se venger n'étaient probablement rien d'autre que des ex-Mangemorts qui n'arrivaient pas à renoncer aux pratiques anciennes des Ténèbres. « Les derniers fidèles ». Etait-ce donc cela que son père faisait lorsqu'il s'absentait pendant plusieurs jours d'affilée ? Allait-il à des rassemblements de frustrés de la guerre qui complotaient pour se venger du Sauveur, de l'Elu, de Harry Potter, celui qui avait survécu une fois encore à Lord Voldemort, et avait fini par le vaincre ? Exprimé de cette façon, cela semblait presque ridicule, comme un club d'hommes qui se plaignent sur leur célibat involontaire ou leur manque de virilité. Cependant, rien n'était trop insensé en ce bas-monde. Les humains étaient les créatures les plus siphonnées de la création.

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