Chapitre vingt

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Le monde s'arrêta de tourner, comme si Merlin venait de presser le bouton « stop ». Qui sait ? Peut-être l'avait-il fait. Tout, absolument tout, s'était figé. Aucun son, aucun mouvement. Rien. Vide. Silence. Même son cœur avait cessé de battre. Et bientôt, un effroi irrépressible l'envahit. Une angoisse indicible, qui se propagea, de ses pieds à sa tête. Et une question qui résonna, si fort, à l'intérieur de son crâne : mais qu'est-ce que j'ai fait ? Bordel de troll des montagnes. Il venait de s'enfoncer, profondément, dans un pétrin infini. Un sentiment d'horreur vint s'ajouter au reste, lorsque la main du brun le repoussa avec violence. Lorsqu'il croisa ses yeux, et que ceux-ci n'exprimaient rien d'autre que du dégoût... Du dégoût, de l'incompréhension, et beaucoup de confusion. Lorsque sans un mot, pas un seul, Potter déguerpit de la salle de cours ; le laissant là. Le délaissant. L'abandonnant, même. Il aurait pleuré s'il en avait eu la force, mais il se sentait plus faible que jamais. C'est à la vitesse d'un escargot qu'il rejoignit ce soir-là son dortoir, sa chambre, son lit. Sans ne plus penser à rien. Les derniers événements l'avaient éreinté, l'avaient vidé complètement. Il n'était plus qu'une coquille vide, vide, vide. Et n'aspirait à rien d'autre qu'à des années de sommeil, sans plus se réveiller.

Ce fut une tête rousse plus que familière qui vint le sortir de sa torpeur. Avec un peu trop d'enthousiasme à son goût. Pourquoi ne pouvait-on pas le laisser en paix ? Le laisser tranquille ? Par exemple, jusqu'à la fin de sa vie ? De toute évidence, son amie avait d'autres projets à l'esprit.

- Malfoy ! cria-t-elle. Bouge ton cul, il faut qu'on parle !

Draco ne répondit pas, se contentant de se tourner de l'autre côté de son lit, le visage enfoui dans son oreiller, et d'émettre un grognement à peine humain. Eléanor finit par s'impatienter, mais au lieu de lui hurler dessus de nouveau, ou alors de l'extirper de force de sous sa couverture, elle se glissa à ses côtés. Sa présence réchauffa le blond. Il se sentait moins seul, moins vide maintenant qu'El était là.

- Tu dois me raconter ce qui s'est passé hier, continua-t-elle d'un ton beaucoup plus doux. Parce que je suis complètement larguée. Et que vu ton état de larve absolue, il a dû se passer quelque chose, quelque chose de grave. Alors, dis-moi. Je suis là pour t'écouter, tu le sais.

- Je n'ai pas envie d'en parler, El... avoua-t-il, lentement.

Les mots sortaient difficilement de sa gorge, lui écorchant la bouche. Il ne voulait pas revivre cette scène encore une fois.

- Tu ne vas pas rester comme ça pour toujours, blondinet. Il faut te sortir de là, tu comprends ? Et ça n'arrivera pas si tu te renfermes et garde tout pour toi. Je ne peux pas t'aider si je ne sais rien.

- Je sais. Mais c'est trop difficile. C'est trop dur d'y repenser. Je... je n'ai aucune idée de comment je vais survivre ça. Tout se mélange dans mon crâne... et je ressens mille trucs à la fois... et je sais pas... je sais pas.

- Explique-moi.

Elle lui prit la main avec douceur, la serra fort. Comme pour l'encourager. Elle avait raison ; il devait lui en parler. Il ne sentait pas capable de faire face seul, de toute manière. Il avait besoin d'elle. Mais trouver les bons mots... trouver les bons termes... se souvenir. Tout cela n'était arrivé que la veille, et pourtant il avait la sensation que des millénaires s'étaient écoulés depuis. Il avait l'impression d'être mort plusieurs fois depuis. Il avait l'impression d'avoir vécu des vies entières depuis. Mais non. Ce n'était qu'il y a quelques heures. Et tout avait changé. Tout.

- Potter m'a entrainé dans une salle de cours vide. Il... il avait l'air confus, embrouillé, et perdu, et instable, un peu comme moi. Il disait... il disait qu'il se sentait... qu'il se sentait bien, lorsqu'on parlait tous les deux, à sa place, et bien, et qu'il aimerait que je ne sois pas celui qui a tué Ginny, et moi aussi j'aimerais que je ne le sois pas, et il me regardait, et je me posais plein de questions, et ses yeux, tu sais, ses yeux si verts, trop verts, et puis il s'est avancé ; je me suis dit que j'allais craquer, il a dit qu'il devenait fou et qu'il faisait n'importe quoi... je lui ai expliqué pour Ginny, c'est la première fois que je l'expliquais comme ça à voix haute à quelqu'un, mais il avait le droit de savoir, hein ? Il avait le droit. Il a dit qu'il me pardonnait. Et aussi, il a demandé ce qu'on allait faire maintenant, puisqu'on était tous les deux tarés et qu'on faisait n'importe quoi, j'ai dit on a qu'à tout effacer ; il avait l'air cassé, blessé, il a dit souviens-toi Draco, j'ai hurlé un peu, j'ai dit... j'ai dit, je sais plus ce que j'ai dit... ça s'emmêle. J'ai entendu ta voix quelque part à l'intérieur de moi, tu disais embrasse-le, et après je ne pouvais plus penser à autre chose, et tu sais il était tellement près... tellement près. Il a dit « je ne voulais pas te blesser », et c'est débile parce qu'il l'a fait tant de fois que je ne compte plus, mais ça m'a détraqué le cerveau cette phrase, et après j'étais à deux centimètres de lui et je n'avais qu'à me pencher, alors je me suis penché. Et je l'ai embrassé. El. Je l'ai embrassé. Tout s'est arrêté ; jusqu'à ce qu'il me pousse brusquement, et se barre en courant ! Jusqu'à ce qu'il se casse. Et me laisse tout seul dans cette salle de merde ! Tout seul...

Un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant