Chapitre dix-neuf

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- Je me sentais bien aussi, avec toi, finit par déclarer Draco, de but en blanc. J'aimerais aussi que celui que je suis aujourd'hui ne soit pas le même que celui qui a tué Ginny. Et je fais aussi n'importe quoi, là-dessus on est pareils, il me semble.

Il aurait souhaité se confier, vider son sac. Il aurait aimé dire ses pensées, ses sentiments, sans rien camoufler. Mais maintenant, maintenant qu'il était – plus ou moins – certain de ce qu'il ressentait vis-à-vis du brun, que pouvait-il faire ? Il n'allait pas – et de toute manière, il en était incapable – lui avouer ça. Ce n'était pas du tout le moment. N'est-ce pas ? Ils étaient en train de se disputer, d'une certaine manière, à cause des actes datant du 2 mai. Et de leurs agissements plus qu'étranges à tous les deux. Sur ce point, ils étaient d'accord. L'un et l'autre n'agissaient pas normalement – mais était-ce vraiment une nouveauté ?

Le Gryffondor ne disait plus rien à présent. Il se contentait de le fixer, de le sonder, intensément, de ses prunelles émeraude. Sauf que ça allait devenir gênant très vite s'ils demeuraient ainsi, à se dévisager dans le silence le plus total. Draco considérait sérieusement l'idée de prendre les jambes à son cou d'une seconde à l'autre, lorsque Potter esquissa un geste. Pour être plus exact, il fit un pas en avant ; puis un autre et un autre et un autre ; jusqu'à ce que seuls une dizaine de centimètres séparent leurs visages. Cette proximité pouvait lui permettre de sentir son odeur. Mais il ne voulait pas. Il ne voulait pas savoir maintenant. Il n'était pas prêt. Il était encore en ruines dans son âme, et son cœur comptait toujours des morceaux en moins ; comment pouvait-il déjà remettre son intérieur à feu et à sang ? Et, surtout, il ne pouvait pas apprendre la vérité en face de lui. Ce serait trop difficile de dissimuler sa réaction. De dissimuler ses émotions. Ce serait trop difficile de revêtir le masque de froideur glacée. Il ne pourrait tenir bon. Il craquerait, forcément, sans aucun doute. Donc non, il ne voulait pas sentir son odeur dans l'immédiat – même s'il en mourrait certainement d'envie – ni la comparer avec celle de l'Amortentia qui restait dans un coin de son esprit en permanence. Miel, gâteau, pommes. Un brin sucrée... Parce que savoir si ces odeurs étaient la même, c'était encore autre chose que d'accepter qu'il avait des sentiments pour Potter. C'était l'étape ultime, presque, c'était l'affirmation que ce qui attirait le plus au monde son cœur était ce jeune Gryffondor aux cheveux embroussaillés qui se tenait en face de lui, l'air plus perdu que jamais.

- Alors, qu'est-ce qu'on fait ?

La voix grave du brun l'avait presque fait sursauter.

- Qu'est-ce qu'on fait ? répéta-t-il, probablement avec un air stupide.

- Oui, Malfoy, qu'est-ce qu'on fait.

- Euhh... je ne sais pas du tout, avoua-t-il en murmurant.

De toute manière, l'autre était bien assez près pour l'entendre. Il avait peur de respirer. Sachant qu'il allait alors mêler son souffle à celui de Potter, et cette idée détraquait complètement son cœur.

- Peut-être, essaya-t-il, malgré tout, de reprendre, qu'on devrait faire comme si de rien n'était, non ? On pourrait... juste continuer comme avant.

- C'est-à-dire ?

- C'est-à-dire, on va en cours, on reste avec nos amis, à la limite on se dit bonjour quand on se croise, mais ça ne va pas plus loin. Plus de bagarre, plus de discussions en haut de la tour d'astronomie, plus de salle vide où on est seuls tous les deux. Parce que de toute évidence, rien de tout cela ne fonctionne.

Draco avait envie de pleurer. Non, il était même sur le point de pleurer. De sangloter comme une gamine ou un gamin de quatorze ans qui venait de se faire plaquer par son copain ou sa copine pour la première fois. Il avait envie de se rouler en boule sur son lit et de hurler qu'on le laisse tranquille jusque la fin des temps. Et pourquoi ça ? Parce qu'il était de train de proposer au garçon qu'il aimait – cessons l'euphémisme – de tout laisser tomber. D'agir comme s'il ne s'était rien passé et ne se passerait jamais rien. Et cela lui tordait les entrailles, si fort et si bien qu'il en avait les larmes aux yeux. Alors que ses larmes, il ne les montrait pas. Ses larmes étaient dures, froides, et il se les gardait pour lui, lors des soirs d'hiver, des jours où il se faisait battre, des nuits où il cauchemardait à n'en plus pouvoir de hurlements, sang et brûlures. Ses larmes étaient un morceau de lui qu'il n'avait, pour l'instant, offert qu'à Eléanor. Mais, celles-ci, celles-ci, il ne pouvait les offrir à Potter. Il ne pouvait pas. Il lui fallait fuir avant qu'il ne puisse plus les retenir. Fuir, fuir, fuir, loin. Le plus loin possible. Il devait tout effacer de son esprit. Tout, tout, tout.

Un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant