Chapitre cinquante-et-un

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Le jeune homme tomba en arrière. Au ralenti.

En réalité, il tomba comme n'importe qui d'autre serait tombé, mais pour Draco cet instant dura un millénaire. Un millénaire où il eut le temps de voir sa vie sans Potter défiler sous ses yeux – seul et triste pour toujours, la poitrine lourde et vide de cet amour perdu, les souvenirs des seuls moments passés ensembles tranchants comme des poignards, les regrets, l'absence, le fantôme d'une main dans la sienne.

Le son du choc contre le sol fut terrible. Draco ne l'entendit pas, son esprit était autre part, il l'imagina, un son dur et brut, il imagina l'impact sur son dos, sur ses épaules, l'arrière de son crâne. Il imagina la douleur se répandre en lui, comme l'eau d'un barrage qui rompt, engloutissant routes et villages. Il imagina son corps rencontrer de plein fouet la dureté de la terre, ses os se craqueler, l'écho du fracas qui résonne à l'intérieur. Il imagina la fin. Ça n'avait aucun sens, cette vie qu'il imaginait. Cette vie sans Potter, ça n'avait aucun goût, c'était imaginer l'inimaginable, une existence qui ne devrait pas exister, un oxymore de vie. Et c'était étrange ce sentiment, étrange, car c'était quelque chose qu'il n'avait encore jamais ressenti. Il avait crevé d'envie de s'approcher, s'approcher de Potter pendant des mois, des années, et il était à quelques millimètres ; il était si proche. Et maintenant, maintenant, Potter allait l'abandonner ?

Draco avait du mal à saisir l'étendue du vide qui s'ouvrait sous ses pieds. Il avait du mal à comprendre la vivacité de la peine qui lui tendait les bras pour le réconforter de la perte potentielle de cet être cher. Il avait du mal à percevoir un futur, demain, dans un mois, dans deux ans, sans ce brun à lunettes et cicatrice en forme d'éclair qui avait rythmé son quotidien, sa vie, ses pensées, le battement de son cœur depuis si longtemps. Ce qui était difficile à admettre, bien-sûr, c'était qu'il ne savait pas vraiment qui il était s'il n'y avait plus Potter. Qui serait Draco Malfoy sans Harry Potter ? Rien que l'idée le faisait suffoquer.

Et puis, ça y était, le jeune homme était étalé, là, par terre, comme n'importe quel cadavre.

Tout cela en une seconde – un millénaire.

Ensuite, les événements parurent un peu flous. Il se rappelait avoir couru auprès de Potter, si vite qu'il volait au-dessus du sol, il se rappelait avoir parcouru son visage et son torse de ses mains, touchant, caressant, sentant sa peau froide et dure, déjà comme celle d'un mort, d'un édifice de marbre, il se rappelait hurler et hurler et hurler ne sachant quoi faire d'autre, il se rappelait se faire emmener, des bras qui l'emportaient, il se rappelait se débattre, il se rappelait qu'on le lâchait, qu'il s'écrasait, que ça faisait mal mais rien ne faisait mal, il se rappelait avoir rampé vers son corps sans respirer, il se rappelait avoir cessé de penser.

Cesser de penser. C'était la meilleure des solutions. Et il choisit cette option un certain nombre de minutes, restant là, les yeux dans le vide, fixant à moitié le corps du garçon qu'il aimait, inerte, à deux pas, et à moitié le gouffre intersidéral dans lequel il aurait voulu se noyer.

Et puis, sa vision devint nette. Il regarda ses cheveux qui tombaient bizarrement sur son front et sur le côté, ses paupières closes sur lesquelles on discernaient les fines veines violettes, sa bouche un peu entrouverte, ses lèvres qui demeuraient roses malgré son état. Il réalisa.

- Harry Potter est mort.

Sa voix n'était pas plus forte qu'une brise, pourtant il n'avait jamais été frappé aussi fort que par les mots qu'il venait de prononcer. Il s'écroula, s'effondra, violemment, et au lieu de crier, il se mit à pleurer. C'était la seule chose dont il était capable : pleurer.

Alors il pleura. Des heures durant peut-être. Cela n'avait aucune importance. Il pleura, pleura, pleura, pleura, les larmes ne se tarissaient jamais, il semblait y avoir un torrent, un fleuve, une mer, un océan en lui, caché, dissimulé, qui était une source inépuisable de liquide lacrymal. Il était seul, les autres étaient partis, on l'avait laissé à son chagrin, car il n'y avait plus rien à faire, seulement à pleurer.

Un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant