Chapitre trente-et-un

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Parmi tous ses souvenirs, il y en avait bien un qui le dérangeait particulièrement. C'était cette fois-là, ce jour, plus d'un an auparavant, lorsque Potter, Granger et Weasley avaient été amenés au manoir. Ce jour où il avait été mis à genoux face à lui. Il ne s'était jamais senti aussi fissuré qu'à cet instant précis. Toute sa famille était là, derrière lui, le pressant de se décider. Bellatrix le fixait de son regard fou, ses lourdes boucles brunes tombant autour de son visage. Il vivait alors constamment dans une terreur absolue. Tout ce qu'il avait fait le torturait intérieurement, le comportement de son père lui donnait envie de vomir, rien que la vue de sa tante déclenchait en lui des sueurs froides d'effroi. Mais tant que tout cela ne restait que des autres - dont il ne connaissait ni le visage, ni le nom, ni l'histoire - il faisait de son mieux pour rester intouchable. Il tentait de dresser, mois après mois, une grande armure de fer, pour se barricader derrière, s'effacer.

Face à ce garçon défiguré, il n'était plus rien. Le dilemme qui s'offrait à lui formait un gouffre abyssal, déchirant son âme abimée. Que vas-tu faire, Draco ? Que vas-tu faire ?

Est-ce vraiment lui, l'Elu ? La question ne se posait pas. Comme s'il pouvait se faire berner par un sortilège. Comme s'il pouvait ne pas le reconnaître. Il n'avait pas douté, pas une seconde. Comme s'il pouvait ne pas reconnaître ses yeux. Ses lèvres étaient si sèches qu'elles le brûlaient. Il est là, devant moi, il est vivant.

Que dire ? Bellatrix était une tornade effroyable qui détruisait tout sur son passage. Lucius était fébrile à la simple idée de pouvoir se racheter, se rattraper, s'élever de nouveau à un rang supérieur, être important, influent, être quelqu'un auprès du Seigneur des Ténèbres. Il lui avait pressé le bras avec une force qui traduisait son urgence. C'est maintenant, Draco, c'est maintenant.

Que vas-tu faire ? Il tremblait, parce que tout son être vibrait à contresens. Tout son être frémissait. C'était une chose d'emmerder Potter à l'école, de le chambrer dans les couloirs et dans le Poudlard Express. C'était une chose de l'injurier dans la Salle commune des Serpentards, et de souhaiter qu'il aille en enfer. C'en était une autre de le voir meurtri, blessé, en cavale, capturé sous ses yeux, sur le sol de sa propre maison, alors que le choix lui revenait de décider si on devait appeler ou non le Seigneur des Ténèbres. Par Merlin, tout plutôt que de se retrouver en sa présence de nouveau. Horrible, trop horrible.

Il savait que c'était lui, et pourtant les mots ne voulaient pas franchir sa bouche - impossible. Son corps s'y refusait. Il bougeait la tête de droite à gauche, ne sachant comment se sortir de cette impasse. Il sentait tous les regards braqués sur lui, comme des poignards qui lui lacéraient la peau.

- Je ne sais pas. Je ne peux pas être sûr.

Je ne veux pas qu'il meurt.

Réminiscence qui le laissait en miettes. Ce jour-là, il aurait pu tuer Harry Potter. Il se sentait déjà si mal, comme si quelque chose lui hurlait profondément que rien de tout cela n'allait. Avouer que ce gars à la figure difforme était bien celui que tous et toutes recherchaient depuis des mois aurait pu sauver sa famille de la déliquescence... Sauf que non, probablement pas. La victoire de Vous-Savez-Qui n'aurait été bénéfique pour personne. Et il aurait dû trouver un moyen de vivre avec l'idée qu'il était la cause de la mort de Potter. Aurait-il seulement eu la simple envie de vivre ?

Il essayait d'oublier ce passage-là. Oublier aussi le passage peu réconfortant où Luna avait été enlevée à son père et tenue prisonnière dans les cachots du manoir, aux côtés de Gripsec et Ollivander. A présent, cette jeune fille partageait ses repas et riait avec lui, tenant la main d'El. Elle avait passé des semaines à vivoter dans ces odieux cachots, derrière des barreaux, alors qu'il était juste au-dessus, et il n'avait rien fait. Oui, indiscutablement, se rappeler de cela rajoutait à l'intime dégoût de sa propre personne. Il n'avait été qu'un minable lâche pendant tellement d'années. Il avait pris le risque de mentir pour ne pas dénoncer Potter, ce jour-là, et c'était probablement l'une des seules fois où il avait fait preuve d'une once de volonté personnelle. Preuve d'une once de courage.

Un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant