Chapitre trente-quatre

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- Je paie ma tournée !

Le poing en l'air, les joues rouges, les yeux brillants, Hermione Granger se tenait debout sur un tabouret. Samedi soir, la taverne des Trois Balais de Pré-au-Lard était bondée. Des éclats de rire fusaient de tous côtés, un petit groupe jouait des airs de rock, les gens buvaient et parlaient avec des voix fortes et enjouées. Certes, Draco s'était rendu à des fêtes et soirées Serpentards. La salle commune verte et argent n'était pas toujours cet endroit froid qu'on associait aisément aux cachots, et pouvait sans problème se transformer à l'occasion en un espace très adapté pour s'amuser toute la nuit. Bon, ici n'étant pas le lieu pour narrer de telles aventures pittoresques – bien que celles-ci furent tout à fait déjantées et épiques – ces histoires demeureront à leur place, c'est-à-dire dans le passé. Par ailleurs, il avait aussi été convié à de supers rassemblements entre familles de sang-pur, et même si la nourriture était bonne ­– merci les elfes de maison – et que les bouteilles d'alcool les plus onéreuses étaient ouvertes en série, les discussions tournaient surtout autour de sujets très sympathiques, du type « comment se débarrasser des Moldus et Sang-de-bourbe », « Dumbledore est une vieille pomme pourrie », « hum, délicieux ce vin, mon cher », ce qui devenait rapidement lassant. Et paradoxal, si l'on prenait en compte le fait que le vin était d'origine moldue. Quoi qu'il en était, il était déjà sorti, il avait déjà « fait la fête », comme disent les jeunes, bu de l'alcool, et était resté debout toute la nuit. Sauf qu'il n'était pas préparé à voir la descente impressionnante de Granger, qui s'enfilaient les verres de Bierraubeurre et autres spiritueux comme si c'était de l'eau. Il n'était pas préparé à voir Weasley saoul après quelques centilitres de Whisky pur feu, ni préparé à la chaleur qu'il sentait parcourir son corps comme si une flammèche lui léchait la peau, et encore moins préparé aux regards non discrets de Potter qui lui donnaient l'impression de tomber en cendres. Surtout, il n'était pas préparé aux conversations sans queue ni tête qu'ils avaient, tous les quatre, comme des potes de longue date.

Cela n'avait aucun sens. C'était enivrant.

Harry avait insisté pour payer le dîner ; ils avaient mangé assis à une table proche d'un mur, ce qui les éloignait un petit peu du reste de la clientèle – un groupe tel que le leur se faisait rapidement remarquer par les autres. Le début avait été laborieux : Hermione et Harry faisaient de leur mieux pour combler le vide, mais Ron restait renfrogné, le nez plongé dans son assiette, et Draco n'osait trop rien dire. Puis avec le temps, les langues s'étaient déliées. Avec le temps, et avec la première tournée de Bierraubeurre. Avec la deuxième, ils s'étaient retrouvés à rire à gorge déployée, oubliant totalement qu'ils étaient d'anciens ennemis qui avaient toutes les raisons de se haïr. Ron Weasley s'était dévoilé aux yeux de Draco comme pouvant être hilarant, non pas à ses dépens, mais de son propre gré. Hermione avait une répartie qui n'avait aucune égale et était un pur délice à écouter, notamment lorsqu'elle rembarrait son petit copain, lequel ne semblait jamais en prendre offense, comme s'il savait bien qu'il n'était pas à la hauteur niveau éloquence. Quant à Potter, il trouvait bien sa place dans le tout, tantôt discutant vivement avec son meilleur ami, tantôt questionnant Draco sur des choses banales, comme sa couleur préféré, ou les films moldus qu'il connaissait. Le blond avait le sentiment étrange de ne pas avoir de rôle particulier à jouer, ce qui était à la fois grisant et terrifiant, car il avait l'impression d'être confronté à un mur blanc qui aurait dû être rempli de mots et d'images multicolores, un mur sur lequel il n'avait jamais rien pu écrire. Et là, on lui mettait ce mur plein de rien devant lui, et on lui demandait ce qu'il y avait dessus. Quelle est ma couleur préférée ? Je ne sais pas.

- Et toi ? répondit-il. C'est quoi ta couleur préférée ?

Le brun de sortir son petit sourire en coin, le regard posé sur le milieu de la table.

Un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant