La première nuit

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C'est l'angoisse totale.

Dehors, le soleil se couche avec une rapidité impitoyable. L'approche de l'obscurité me fait l'effet d'une bombe sur le point d'exploser.

Nous sommes samedi soir. Je dis au revoir à Sophia-Rose et Lizzie, sa camarade de chambre, avec qui j'ai dîné dans le centre. Lizzie est vraiment adorable, et je n'ai rien contre elle, mais son arrivée sur le campus signifie que je ne peux plus squatter son lit. Malgré cela, j'essaie de relativiser comme je le peux. C'est vrai, ça pourrait être pire. Là au moins j'ai un toit au-dessus de ma tête. Oui, ce n'est que celui d'une voiture, mais c'est toujours mieux que les dessous d'un pont (très probablement en compagnie de mon père).

Les pieds traînants, je retourne auprès de ma voiture (ou devrais-je dire ma maison ?) sur un minuscule parking à la périphérie du campus. Trouver l'endroit idéal pour dormir s'est avéré être un vrai challenge : pas trop près du cœur de la fac pour minimiser les chances qu'on me surprenne, mais pas trop éloigné pour qu'on m'entende crier si je me fais attaquer. Pour le moment, cet endroit de rêve est le parking d'un coffee shop, le Green Roof.

Je déverrouille ma voiture et m'installe à l'arrière. Enfoncée avec nonchalance sur la banquette, j'observe les buissons qui dansent sur une légère brise estivale à travers le pare-brise. Au moins, la vue n'est pas désagréable. Ça n'arrange quand même pas le fait que je ne me suis jamais sentie aussi étriquée de ma vie.

Purée, il faut vraiment que je parle à quelqu'un. Quelque part, je sais que tout ira bien, mais j'ai besoin de l'entendre. Je pense d'abord à Lucas, seulement il ne sait rien de ma situation. Et même si c'était le cas, je ne pense pas trouver en lui le réconfort que je cherche. Non, lui me gratifierait d'un « je te l'avais bien dit ! » avant de me convaincre de tout abandonner pour travailler comme caissière dans l'épicerie de sa tante. Maxine, en revanche, saura trouver les mots justes... comme toujours.

Elle répond à la première sonnerie.

— Ça va ou quoi ?

Sa voix enrouée agit comme un baume à mon cœur tourmenté. Elle fume trop, je lui ai déjà dit, mais aussi géniale soit-elle, elle n'écoute que sa propre personne.

— Ou quoi. Ça va comme si je venais de me faire marcher dessus par un troupeau de gazelles.

C'est notre truc, avec Maxine. Plutôt que de platement répondre « ça va », nous imageons notre humeur à l'aide de comparaisons. Je ne sais plus d'où ça vient (enfin si, probablement de nos gamineries de collégiennes), seulement que c'est resté.

— Ça y est, rajouté-je avec fatalisme. C'est ma première nuit dans ta Fiat.

Elle prend une profonde inspiration. J'entends les criquets en arrière-plan ; je peux facilement l'imaginer en train de fumer à la cuisine de son minuscule appartement, les pieds croisés sur le rebord de la fenêtre et la tête dans les étoiles.

— C'est ta Fiat ma belle. Tu l'as bien verrouillée ?

— Évidemment.

— Cool, maintenant coince un pull entre chaque fenêtre. Imagine un vieux pervers te mate à travers ?

Aussitôt, je pense à Zach. Il n'est pas vieux, mais le côté pervers reste encore à contester.

Un frisson me parcourt le corps. Max vient de me rappeler qu'il n'existe qu'une vitre fragile entre moi et une centaine de scénarios catastrophes.

— Ouais, bien vu.

Je mets le haut-parleur pour pouvoir fouiller dans mes affaires. Je n'ai pas assez de pulls, mais je devrais pouvoir m'en sortir avec des t-shirts. J'en profite aussi pour installer les pare-soleils que j'ai achetés hier.

The love theory [Tome 1/2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant