La bagarre

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Zach se gare devant la maison des Delta Tau. Nous marchons côte à côte jusqu'à l'entrée. Tout comme la dernière fois que je suis venue, l'endroit déborde d'étudiants. Ils discutent dans les escaliers, un gobelet à la main, ou bien ils dansent dans le salon, là où les meubles ont été poussés contre les murs pour libérer de l'espace.

— Stone ! entend-on par-dessus la musique.

Junior fait signe à Zach de venir en levant son gobelet en l'air. À côté de lui, je reconnais Tarik et Rylan. Ils sont placés à une position stratégique, près des boissons.

— Aurore, tu bois quoi ? me salue Rylan.

— Euh... un truc sans alcool.

Il hoche la tête et se tourne vers la table pour se mettre à l'œuvre. Je l'observe attentivement tandis qu'il verse du coca dans un gobelet rouge. Ensuite, il ajoute une (grosse) goute de rhum. Il me tend mon verre avec un large sourire aux lèvres. Je le sermonne d'un regard las.

— Fais voir, je te prends ça, me dit Tarik d'un ton conspirateur.

Je lui cède volontiers ma boisson, après quoi il m'étudie en coin, une lueur de curiosité brillant dans le regard.

— Quoi ?

— Je suis surpris de te voir ici avec lui, me murmure-t-il à l'oreille.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Il est pas facile à vivre. En tant qu'ami, on s'y habitue, mais à ta place j'arrêterais là. Tu m'as l'air d'être une fille bien, évite-toi ce genre d'embrouilles.

Je rêve ! Est-ce qu'il insinue que Zach et moi on...

— Je t'arrête tout de suite. Je n'ai pas l'intention de coucher avec lui.

— Les relations c'est compliqué et imprévisible, conclut-il en haussant les épaules.

Il s'en va saluer des amis à lui, me laissant confuse et seule avec Zach, Junior et Rylan. Ils partagent une discussion animée sur... la randonnée ?

— Oui, je dois pouvoir réserver la cabane pour un weekend. On serait combien ?

Ça, c'était Rylan.

— Junior, Tarik, toi et moi. Aurore, ça te tente ?

Et ça, c'était Zach.

— Quoi donc ?

— Un weekend à la montagne.

— Pourquoi pas. Manque plus que la bimbo et on aura le casting idéal pour tourner un slasher.

— Hey, vous parlez de quoi ?

Et enfin ça, c'était Claire. C'est quoi déjà l'expression... ? Ah oui : quand on parle du loup ! Bon ok, je suis mauvaise. Je n'ai pas peur d'admettre que c'est la jalousie qui parle. Cette fille est non seulement magnifique, mais en plus elle respire la confiance en soi. À côté d'elle, je me fais l'effet d'un sac poubelle avec mon pyjama.

— On parlait de toi, répond Zach d'un ton enjôleur.

Dis donc, on dirait qu'il a bien avancé avec elle depuis la dernière fois que je les ai vus dans la même pièce ! Aux dernières nouvelles, il avait passé une année entière à la déshabiller de loin sans jamais oser l'approcher, et voilà qu'il la drague ouvertement. Je me demande ce qui a bien pu le motiver à passer à l'action.

— Ah ? J'ai entendu le mot « bimbo ».

— C'est bien ce que je dis.

Je retiens ma respiration, redoutant la réaction de Claire. Je m'attends à ce qu'elle le gifle ou qu'elle lui balance son verre au visage, un truc bien dramatique. Quand on ne connait pas Zach, son humour peut facilement être interprété comme de la méchanceté. Mais, contre toute attente, elle explose de rire. C'est tout. Elle ne dit rien. Elle le dévore juste du regard comme si cupidon venait de lui décocher une flèche en plein cœur.

En cet instant, je crois que je sais ce qu'elle voit en lui. C'est vrai, il a un charme particulier. Je veux dire, il fait partie de l'équipe de foot, tout le monde connait son nom et, on ne va pas se mentir, il est mignon. Pas beau gosse comme un mannequin de couverture, mais doté d'une beauté que je qualifierai... d'intime. Par là j'entends que l'on peut le regarder cent fois et passer outre chaque fois. Et puis un beau jour, on remarque l'attrait de son visage, et soudain c'est tout ce que l'on voit, et on se sent spéciale parce qu'on pense être la seule à le voir sous ce jour.

En tout cas, c'est ce que je croyais jusqu'à ce que je voie Claire tomber sous son charme en direct.

— Ça te dit de venir avec nous pour passer un weekend à la montagne ? demande Zach.

La réponse de Claire se noie sous la commotion qui gagne en puissance à l'entrée du salon. Un petit groupe de curieux s'est rassemblé autour de Tarik et d'un mec que je n'arrive pas bien à discerner.

— Putain mais qu'est-ce qu'il fout ici ?

Zach l'a dans son viseur et il ne le lâche pas. Je l'observe avec impuissance foncer épauler son ami. Je ne comprends pas ce qui se passe. Je ne sais pas si je dois intervenir ou laisser les garçons gérer leur différend.

C'est alors que, assez brutalement, Zach plante une droite dans la mâchoire du nouveau venu. Ensuite, c'est le chao.

Une fille qui se trouvait tout proche d'eux fait un bond en arrière en poussant un cri aigu. Parmi le reste des étudiants, il y a ceux qui forment un cercle autour des combattants. Rylan et Junior plongent en avant pour aider leurs amis, et je m'empresse de les suivre.

Mon premier réflexe est de plonger au milieu de la bagarre pour tirer Tarik et Zach en arrière, mais je reviens vite sur mes pas. Je ne sais pas si c'est l'effet de la foule ou de l'espace clos, mais l'atmosphère est particulièrement hostile. Entre eux, les insultes volent avec autant d'entrain que les coups de poing. Rien ne semble les retenir. J'ai l'impression d'assister à un combat clandestin de chiens affamés.

Heureusement, je n'ai pas besoin de m'interposer au risque de me faire refaire le portrait. Rylan me devance, très vite rejoint par le reste de l'équipe de foot. Ensemble ils s'interposent pour empêcher un autre coup de voler, puis ils séparent les garçons.

Là, je reconnais l'adversaire de Zach comme étant le serveur de la pizzéria, celui qui a rejoint l'équipe de foot. Sans réfléchir, je me plante devant le capitaine pour le distraire. Je pose une main sur son bras, l'autre sur sa joue, et je plonge mon regard dans le sien.

— Calme-toi, ça n'en vaut pas la peine.

— Espèce d'enfoiré ! m'ignore-t-il en braquant son index sur son adversaire. Les petits cons comme toi n'ont rien à faire dans l'équipe !

Comme je suis entre eux et que le danger est palpable, Tarik me prend par le bras pour m'éloigner.

— Barre-toi de là, articule-t-il à l'intention de leur victime. Quitte l'équipe de foot, ça vaut mieux pour toi.

Les larmes aux yeux, le visage rouge, l'inconnu tourne les talons et disparaît de la soirée. Zach sort la pièce à son tour. Les gens s'écartent sur son passage, moi y compris. La musique s'est arrêtée et une atmosphère pesante règne dans le salon.

C'est Rylan qui brise le silence en désignant ma main.

— Tu saignes. Ça va ?

Je baisse les yeux et, en effet, une trace de sang zèbre la paume de ma main. En regardant de plus près, je me rends compte que ce n'est pas le mien, mais probablement celui de Zach. L'inconnu lui a brisé le nez.

— Oui, ce n'est rien. Tu peux me dire où se trouve la salle de bain ?

— À l'étage, première porte à droite.

Je ne le remercie même pas avant de tourner les talons, trop distraite par ce qui vient de se passer. Je ne prends pas non plus la peine de verrouiller la porte derrière moi. Tout ce à quoi je pense, c'est le sang que j'ai sur les mains, et la violence qui vibre dans l'air. Ça me rappelle trop ce temps où, avec mes parents, nous formions encore une famille. Ils ne s'étaient jamais trop montrés physiquement violents envers moi, mais entre eux... Disons simplement qu'ils ont manqué de se tuer un bon nombre de fois.

Et je n'étais pas toujours là pour les arrêter.

The love theory [Tome 1/2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant