Prépare-toi, j'arrive

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Quand je me réveille un beau jour en début de semaine, mon corps est parcouru d'un frisson glacé. Je suis congelée. Ma couette est tombée sur le côté dans la nuit, et l'air frais de l'extérieur s'infiltre par les petites ouvertures qui tiennent mes t-shirts aux vitres. Il faut vraiment que je m'achète des vêtements d'hiver, parce que pour le moment, je n'ai rien d'autre à me mettre que les affaires d'été que j'ai emportées avec moi dans ma minuscule valise. Or les nuits se font de plus en plus longues et de plus en plus fraîches.

Je déverrouille mon téléphone. La lumière vive me brûle les rétines.

7h04.

Depuis que je dors dans une voiture, impossible de faire la grasse mat'. Soit parce que l'angoisse me réveille en sursaut, soit à cause des étudiants qui mènent leurs petites vies tranquilles dehors.

Je m'active sur la banquette et enfile des chaussettes, puis mes Fila. Toute l'ironie de l'Amérique contemporaine est là : je possède un smartphone et des chaussures à une centaine de dollars, pourtant je suis sans-abri.

Toute la journée, j'essaie désespérément de me concentrer sur mes professeurs, mais mes pensées dérivent sans cesse vers Zach. Je devine que c'est la fin de mon dernier cours quand le brouhaha des élèves recouvre le discours de Madame Bloom.

— Excuse-moi... Aurore, c'est ça ?

Je lève la tête. Mon voisin de table me regarde l'air expectatif. Un fan de basket, si j'en crois son maillot des Golden States Warriors. J'étais tellement accaparée par mes pensées pendant ce cours que même lui, j'ai oublié sa présence. Pourtant ça m'a surpris lorsqu'il s'est assis à ma gauche. Au risque de tomber dans les clichés, il a l'allure typique de l'étudiant qui zone dans les trois dernières rangées de l'amphi, tandis que moi je suis abonnée aux trois premières.

— C'est bien moi.

— Moi c'est Tobias. Je veux pas passer pour un lourd, mais je vais être cash : je t'ai repérée de l'autre bout de l'amphi la semaine dernière, et j'aimerais t'inviter à boire un café.

— Ce n'est pas lourd, c'est même mignon. Mais... j'ai un copain.

— Ah... Alors voilà ce qu'on peut faire : on va quand même boire ce café, on discute, et avec un peu de chance, je me rends compte que ta personnalité est pas aussi attrayante que je l'espérais.

Je rigole, incertaine de comment réagir à sa proposition.

— C'est... intéressant comme façon d'approcher les choses.

— Je ne veux juste pas avoir l'impression de passer à côté d'un truc.

— Et s'il se trouve que j'ai une personnalité attrayante ?

— La balle sera alors dans ton camp. Mais je te laisserai tranquille si tu me le demandes.

Je plisse les paupières et l'observe sous un œil nouveau (c'est-à-dire sans penser à Zach en arrière-plan). Il dégage une attraction saine, le genre qu'on retrouve souvent chez les sportifs. Prendre soin de soi, c'est sexy. Cheveux rasés de près, manchette de tatouages sur le bras gauche... En l'examinant, je me fais la même remarque qu'avec Tarik : c'est mon type de mec. Alors pourquoi me laisse-t-il complètement indifférente ?

Pourquoi, alors que j'ai ce canon sous les yeux, je n'ai que Zach en tête ?

— Je vois. J'accepte, à condition que tu me files tes notes.

— Yes !

Il attend que je range mes affaires, un sourire timide sur le visage, puis nous nous dirigeons vers la sortie. Dehors, il me vend les mérites d'un Milk Shop qui a ouvert pendant les vacances sur le campus. C'est là qu'on se dirige tout en faisant un debrief sur le cours de Madame Bloom.

Je commande un American Cookie, et lui un milkshake à la vanille. On s'installe à une table près d'une baie vitrée, avec vue sur les jardins du campus. J'aime bien cet endroit à la déco industrielle. C'est chaleureux et conviviale, peut-être même un peu trop pour que j'en fasse un lieu d'étude.

— Bon alors, dis-moi les pires choses à propos de toi, commence-t-il d'un ton presque théâtral.

Je me prête tout de suite au jeu.

— Mmh... J'ai vu et revu tous les épisodes de Golden Girls.

— C'est censé me faire fuir ?

— En général, ça marche ! Tu regardes aussi ?

— Je regardais avec ma grand-mère. Dorothy est l'un de mes personnages de fiction préféré ! Allez, quoi d'autre ? Je suis sûre que tu peux faire mieux !

Un simple « je vis dans ma voiture » devrait avoir l'effet escompté, mais je ne vais pas risquer de balancer cette information au premier venu. Sur le campus, ce genre de ragot connaît un effet boule de neige comme on en voit rarement.

— J'ai une playlist « feel good » avec beaucoup, beaucoup de Britney Spears.

— C'est tout ? dit-il en souriant. Tout le monde aime Britney.

— Ouais, c'est vrai. Alors voilà mon plus terrible secret : ça fait deux semaines que je porte le même soutif.

Il ouvre la bouche en prétendant d'être sous le choc.

— Sale crado !

Son coup de théâtre me fait éclater de rire.

— Je suis désolée, j'ai tout donné là, je n'y peux rien si je suis géniale.

— Bon... Est-ce que je peux quand même prendre tes coordonnées ? Au moins pour t'envoyer mes notes.

— Tu n'as besoin que de mon mail pour ça.

— Touché...

— Mais je vais te passer mon numéro, uniquement parce qu'on est tous les deux dans le cours de Bloom et que ça peut être utile !

— Ah, alors pas de message osé ?

— Pas si tu veux qu'on reste en bons termes. Comme je te l'ai dit, j'ai un copain.

— Il est où ce mec ?

— Loin, soupiré-je. À trois heures d'ici.

— Aïe...

— Quoi ?

— La distance, ça marche jamais.

— Ça marche si l'on veut que ça marche.

— Oui, mais pourquoi faire ça quand tu peux avoir un mec à portée de main ?

— Parce que c'est à lui que je tiens, pas au premier venu.

— Cool, cool... Bon, faut que j'y aille. On se dit à plus tard, peut-être ?

— D'acc, à plus !

Je prends cinq minutes pour me remettre de cette rencontre. Je me rejoue la conversation dans ma tête, un léger sourire aux lèvres. Qu'est-ce que j'aime la fac ! Pour une fois, je ne parle pas des cours, mais du fait que l'on peut rencontrer un parfait inconnu un beau jour, et échanger avec lui comme si on le connaissait depuis toujours. Et puis ensuite plus rien, jusqu'à rencontrer un nouvel inconnu. Je n'échangerai ça contre rien au monde, et surtout pas contre une place de caissière dans une épicerie familiale.

Une fois remise de mes émotions, je rejoins Sophia-Rose au Green Roof. À force de venir ici tous les après-midis après les cours, nous nous sommes appropriées une petite table dans un coin de la salle. Un jeudi, je vis mon moment de gloire quand la serveuse me regarde avec un sourire et me demande : « comme d'habitude ? ». Lucas avait raison, on peut trouver le bonheur dans les choses simples. En tout cas, le mien réside dans ces petits moments-là. Mais s'il ne comprend pas l'importance que je porte à mes études, je doute qu'il comprenne l'amour que je ressens quand j'hume mon café Macchiacho.

Samedi en début de soirée, alors que je regarde paisiblement un épisode de Friends à la bibliothèque, je reçois un message étrange.

De : Numéro Inconnu

Prépare-toi, j'arrive.

The love theory [Tome 1/2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant