On fait la course ?

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J'arrête la musique dans mes écouteurs et tourne la tête sans m'arrêter de courir. Zach galope à ma suite, un sourire insolant aux lèvres. Mon petit doigt me dit qu'il connait la réponse avant même que j'ouvre la bouche pour mentir.

— Non, j'admire le paysage. Qu'est-ce que tu fais là ?

— Je m'échauffe.

— Et il faut que tu le fasses en empiétant sur mon espace vital ? haleté-je en grimaçant sous la chaleur.

Parler en courant : très mauvaise idée !

— Ne sois pas si aigrie, je viens juste te dire bonjour.

— Bah voilà, c'est fait.

— On fait la course ?

— Pardon ?

— Le premier qui arrive à la buvette, annonce-t-il avant de passer à la vitesse supérieure.

Je peux déjà anticiper ses airs suffisants s'il gagne. Il m'a déjà vaincue au billard, et c'était bien assez dur à avaler comme ça. Hors de question que ça se reproduise !

Bien contre le gré de mes poumons, j'augmente la cadence pour tenter de le rattraper. Quand j'arrive à hauteur de la buvette, il m'attend tranquillement appuyé contre un mur.

Les mains posées sur mes genoux pour me soutenir, je prends une bonne minute pour reprendre mon souffle.

— Je te... déteste, déclaré-je en crachant un poumon.

— Sérieux ? C'était rien qu'un petit sprint. Tu dois être rouillée de l'intérieur.

— Va te faire voir !

Purée, mais qu'est-ce qui m'a pris de rentrer dans son jeu ? Mon cerveau tape douloureusement contre mes tempes. Les derniers rayons de soleil de la journée me donnent l'impression d'être fiévreuse. C'est trop. Je m'assois en plein milieu de la piste de course.

— Dis-moi Zach... Ta mère te montrait de l'affection quand t'étais petit ?

Il hausse les sourcils, seul signe que ma question le prend de court. Tout en m'étudiant d'un air curieux, il s'assoit en face de moi. Ses crampons touchent la semelle de mes baskets.

— Pourquoi tu demandes ?

— Comme ça.

— Si je te le dis, tu me donnes ton vrai numéro ?

Je me fige une demi-seconde pour finalement détourner le regard.

— T'as appelé ? demandé-je avec un sourire innocent.

— Ouais. Je suis tombé sur cette voix sexy qui m'a bien envoyé chier.

Il sort son téléphone de son short de foot et appelle le numéro que je lui ai donné. Une voix féminine préenregistrée retentit des haut-parleurs :

« Bonjour ! La personne que vous essayez de joindre ne souhaite pas que vous la contactiez. Vous l'avez certainement mise mal à l'aise en requérant son numéro avec insistance. La prochaine fois qu'une femme vous dit 'non', il serait judicieux d'entendre 'non'. En vous remerciant de prendre ce message au sérieux,

L'association étudiante du Vermont pour le droits des femmes ».

Je le fixe droit dans les yeux, me mordant la lèvre inférieure pour me retenir de rigoler.

— Je voulais juste... te donner une petite leçon.

— Parce que j'ai eu le culot de te demander ton numéro ?

— Non, parce que tu as insisté.

Il me dévisage d'un air pensif, ses yeux naviguant sur mon visage comme s'il pouvait y trouver la réponse à une énigme.

— Mea-culpa, dit-il finalement. Je voulais pas te mettre mal à l'aise.

— Non, ce n'est même pas ça. C'est seulement que... tu t'es montré tellement sûr de toi que ça m'a exaspérée. Je me suis dit que tu méritais qu'on te remette à ta place.

Il hoche doucement la tête, méditant un instant sur mes paroles. J'essaie de soutenir son regard perçant, pour finir par échouer misérablement.

— Alors, tu vas me le donner ce numéro maintenant ?

— Ça dépend. Pourquoi tu m'appelais ?

— Pour réclamer la faveur que tu me dois.

— T'as qu'à me la dire maintenant.

— Nah, j'ai changé d'avis. Je vais trouver mieux. Tu vas en baver, princesse.

— Oh, la ferme !

Je lève les yeux au ciel et sors la langue comme si je voulais vomir. Il éclate de rire devant mon cinéma. Son sourire, large et sincère, me captive l'espace d'un instant.

— Ma mère a toujours été là pour moi, dit-il après s'être calmée.

— Je ne te donnerai pas mon numéro.

— Mais si tu vas le faire.

— Et ton père, il est alcoolique ?

— Nope. Qu'est-ce que tu essaies de faire avec ces questions ?

— J'essaie d'établir ton profil psychologique.

— Fascinant, rétorque-t-il en pensant tout l'inverse.

— Stone ! l'appelle soudain le coach qui fait de grands gestes depuis le stade. Sur le terrain, tout de suite !

— Je dois y aller. On se revoit plus tard pour ce numéro ?

— Si tu veux. Je serai morte, de toute façon.

Je tombe en arrière tout en disant cela, un bras en travers des yeux pour me protéger de ce maudit soleil.

— Il faut que tu te mettes à l'ombre.

Je lève mon bras pour l'examiner. Les mains sur les hanches, il fronce les sourcils l'air presque... inquiet ?

— Qui êtes-vous ? demandé-je en affichant un masque de confusion.

— T'es sûre que ça va ?

— Je ne sais pas. J'étais avec un footballer il y a deux secondes, très arrogant et sûr de lui. Et vous voilà à sa place, soucieux de mon sort.

Il fait claquer sa langue contre son palais avant de s'éloigner en petites foulées. Il fait le mec excédé, mais au fond je sais qu'il m'a tourné le dos pour dissimuler son sourire.

— Je suis sensible à la chaleur, crié-je dans son dos. Mais ça va aller, merci de t'inquiéter !

Je me rallonge avec cette fois les deux bras en travers du visage. Satané soleil ! Vivement l'automne. Elle au moins, c'est une saison noble qui n'essaie pas de mettre fin à l'espèce humaine.

Je reste là encore un moment, jusqu'à ce qu'une main me secoue légèrement. Un courant électrique me traverse le corps.

— Aurore ?

Je fais tomber mon bras droit sur le côté et ouvre une paupière. J'ai à peine le temps de voir Zach que je me prends une cascade d'eau froide sur le visage. Je me relève brusquement, les cheveux trempés et la bouche grande ouverte dans un cri muet.

— Zach Stone, je vais te tuer !

Une demi-seconde, c'est le temps qu'il me faut pour bondir sur mes pieds, mais le bougre s'éloigne déjà en pas chassés ! J'essaie de paraître menaçante avec mes poings sur les hanches et mon regard noir, seulement je ne l'impressionne pas. Il part même dans un fou rire en me voyant.

— Tiens ! s'écrie-t-il en m'envoyant sa bouteille. Pour te rafraîchir !

Puis il retourne auprès de ses camarades sur le stade. Je pourrais lui courir après, mais à quoi bon ? Je ne vais pas lui botter les fesses devant le coach. À la place, j'attrape sa bouteille au vol et avale son contenu à grandes goulées. Maintenant que le coup de chaud est passé (merci beaucoup, Zach !), je me mets en route (en marchant et quelque peu fébrile) en direction du gymnase pour une bonne douche.

The love theory [Tome 1/2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant