Le Green Roof

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Ma haine pour l'été est inversement proportionnelle à mon amour pour le bon café. Dans mon top trois des choses que j'aime le plus, il y a, premièrement, toutes les saisons qui ne sont pas l'été. Ensuite il y a le café. Et enfin, il y a ce que j'appelle l'atmosphère « ruchesque ». C'est plus une ambiance qu'une atmosphère, vraiment. C'est ce croisement parfait entre un lieu de travail et un lieu de socialisation, comme dans une ruche. Et dans mon malheur (par là j'entends le fait que je vive dans ma voiture), j'ai finalement trouvé mon bonheur : le Green Roof.

C'est le coin idéal pour travailler. Un petit coffee shop à l'ambiance animée, avec une agréable musique de fond... tout ce qu'il me faut pour travailler efficacement ! Ça peut paraître contre-productif, mais je préfère mille fois le Green Roof à la bibliothèque. L'écho du silence a tendance à encourager mes pensées à divaguer, ce qui m'empêche de me concentrer. Sans parler des regards noirs que l'on s'attire au moindre bruit. Le dernier avantage du Green Roof, c'est que Sophia-Rose m'y rejoint quand son emploi du temps le lui permet.

Le premier samedi après la reprise des cours, nous sommes toutes les deux penchées en silence sur notre ordinateur. On doit faire peine à voir à bûcher comme on le fait alors que l'année ne fait que commencer, mais bon. Je me fiche de ce que les autres pensent. Je suis bien contente d'avoir trouvé quelqu'un qui prend les études au sérieux au moins autant que moi, si ce n'est plus.

Peu avant la fermeture du café, nous sommes dérangées par la sonnerie de mon téléphone. Je branche mes écouteurs sans même prendre la peine de voir de qui il s'agit. À 18h30, ça ne peut être que Lucas, pile à l'heure pour notre visio ritualisée. Je pousse mon bazar sur le côté et décroche. Sa petite bouille blonde apparaît à l'écran, révélant une peau fraîchement rasée.

— Salut princesse, s'exclame-t-il tout sourire.

J'ai un léger mouvement de recul. Princesse ? Il ne m'a jamais appelée autrement que par mon prénom, déclarant les surnoms, je cite : « gnangnan ».

— Salut toi ! Depuis quand tu m'appelles comme ça ?

— Depuis que tu me manques. Apparemment ça réveille mon côté romantique.

Je souhaite trouver ça mignon, vraiment... Mais ce que j'ai dit à Zach tourne en boucle dans ma tête.

La légende raconte que si tu me surnommes princesse, tes couilles vont tomber.

Quand enfin je parviens à étouffer ces pensées intrusives, c'est le visage de Zach qui se matérialise dans mon esprit. Si je devais le limiter à une seule caractéristique physique, ce serait les étincelles de malice qui brillent sans cesse dans ses yeux noisette. Et puis cette façon fière qu'il a de courir sur la pelouse, le torse bombé. Je revois aisément ses cheveux sauter au rythme de ses mouvements sur son crâne, ainsi que les muscles de ses jambes qui se contractent pour tirer dans le ballon...

Ugh ! Il m'insupporte ! Je tente tant bien que mal de refocaliser mon attention sur Lucas. Je crois qu'il parle d'un accident qu'il a failli avoir en revenant du travail. Il s'interrompt en plein milieu d'une phrase lorsqu'une voix masculine vibre tout près de moi.

Comme si je l'avais invoqué par la seule force de mes pensées, Zach s'approche de notre table.

— Salut les grosses têtes.

Sophia-Rose me jette un regard inquisiteur que j'ignore. Je fais signe à Zach d'attendre deux secondes et reporte mon attention sur mon écran.

— C'est qui ? s'enquiert Lucas, les sourcils froncés face à la caméra.

— C'est... un mec de ma classe. C'est pour les cours. On se rappelle demain ?

La facilité que j'ai à lui mentir me déconcerte. Mais en même temps, comment lui expliquer qui est Zach et comment je l'ai rencontré ? Je ne saurais même pas définir notre relation, si tant est qu'on en ait une. Sommes-nous amis ? Camarades ? Deux inconnus qui se chamaillent dès qu'ils se croisent ? C'est trop bizarre.

Lucas s'apprête à répondre, mais Zach le coupe. Il se penche beaucoup trop près de moi pour apparaître à la caméra.

— C'est lui ton Roméo ?

Je m'emporte aussitôt, le repoussant avec force.

— Commence pas, ce ne sont pas tes histoires !

Je raccroche au nez de Lucas, le cœur serré de culpabilité. Je regrette mon attitude expéditive qui ne passe inaperçue pour personne, mais c'est trop dangereux de le garder en visio avec Zach tout près. Ce dernier est bien trop imprévisible.

— T'as un sérieux problème, Stone. Qu'est-ce que tu fais ici ?

— Je t'ai vue par la fenêtre.

— Et ? Tu voulais me dire bonjour ?

— Non, pas cette fois. Je viens récupérer ma bouteille.

— Ta bouteille ? Tu veux dire la bouteille en plastique de cinquante centilitres que tu m'as jetée à la figure ?

— Ouaip.

Je vois très bien à son petit sourire qu'au fond ce n'est pas ça qui l'intéresse. Mais si je lui fais remarquer, il va faire le mec qui ne comprend pas pourquoi je ne veux pas lui rendre sa bouteille. Je veux dire... Tout ça pour une foutue bouteille ? Il croit vraiment que je vais mordre ?

— Je ne m'étais pas rendu compte que c'était un prêt. Qu'est-ce qui te fait croire que je ne l'ai pas jetée ?

— Tu l'as jetée ?

Je me mords la lèvre inférieure, méditant sur mes options. Si je réponds que je l'ai jetée, il voudra sûrement que je lui en rachète une. Non pas par principe, mais juste pour me casser les bonbons.

— Elle est dans ma voiture, déclaré-je en fermant mon manuel de psycho d'un geste sec. Attends-moi là, j'en ai pour deux secondes.

Sans cacher son sourire satisfait, il s'écarte pour me laisser passer, me laissant à peine l'espace de me glisser entre la table et son torse. Je le meurtris du regard. Or plus je réagis à ses bêtises, plus il y prend du plaisir. C'est donc excédée que je lui donne un coup de coude innocent dans les côtes.

— Oups !

Je bats des cils avant de tourner les talons.

Sur le parking du Green Roof, je déverrouille ma voiture et fouille mon côté « chambre ». C'est là que j'ai balancé sa satanée bouteille la dernière fois, faute d'avoir trouvé une poubelle à plastique sur le chemin. L'objet de ma quête se cache sous mon sac à vêtements sales. Elle est toute difforme et tassée sur elle-même, à la hauteur de ce que son propriétaire m'inspire actuellement. Parfait !

The love theory [Tome 1/2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant