Soixante-quatre jours avant le printemps

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Aujourd'hui est un jour de deuil pour Maxine et moi.

Je vous rassure tout de suite, personne n'est mort. Personne, si ce n'est la Fiat. Techniquement, elle n'est pas morte ; elle a juste les roues crevées et les vitres brisées. C'est donc un assassinat.

— Qu'est-ce que tu comptes faire, maintenant ?

La voix de Maxine retentit dans mes écouteurs tandis que j'attends la dépanneuse. Appuyée contre la Jeep de Zach, je sirote mon café en contemplant les possibilités.

— J'en ai aucune idée. Pour le moment je n'ai pas besoin de voiture, je peux utiliser les transports en commun.

— Ouais, mais c'est plus pratique d'avoir une voiture pour faire les trajets jusqu'ici.

— C'est pas faux, mais... Je ne pense pas rentrer au Vermont cet été.

J'entends un objet métallique tomber sur le carrelage, suivi d'un bruit de vaisselle qui se brise. J'écarte mon téléphone de l'oreille.

— Euh... Max ?

— Merde... J'ai fait tomber mon bol. Attends, t'es en train de dire que...

— Que je n'ai plus de raison de rentrer.

— Tu m'as moi, dit-elle avec tristesse.

Je connais cette intonation. Je peux facilement l'imaginer faire sa moue de chien battu.

— Tu sais très bien ce que je veux dire par là. Je n'ai plus de maison au Vermont, plus de famille. Le mieux c'est de me trouver un appart ici, et un boulot stable.

— Oh non... À trois heures de moi ?

— C'est la meilleure décision.

— Je sais, ma belle. C'est juste que... tu vas me manquer.

— Toi aussi.

Je me mords la lèvre inférieure pour me retenir de pleurer. Max est la seule personne qui rendait mes étés au Vermont supportables. Je ne sais pas comment je vais faire sans l'avoir à quinze minutes de distance en patins, comme quand nous étions ados.

— Bon, il faut que je te laisse, je crois que la dépanneuse arrive.

— Ça va, je te rappelle demain. Courage !

L'idée de voir ma voiture partir pour la casse me plonge dans une profonde déprime. Pas juste parce qu'elle était tout ce qui me séparait de la rue, mais parce qu'elle nous emmène partout depuis que Max a obtenu son permis. Grâce à elle, nous avons vu New York en période de Noël, nous nous sommes baignées dans le lac Winnipesaukee, et nous avons dormi à la belle étoile sur son capot.

Je sais. Je suis peut-être un peu trop sentimentale pour une simple voiture, mais que voulez-vous ? Je ne dis pas seulement au revoir à une voiture ; je dis adieu à toute une époque.

La dépanneuse fait halte sur le trottoir en face du Green Roof. Je passe la demi-heure suivante à signer des papiers et à rédiger un chèque au chauffeur pour ses services. Seulement alors, il attache la Fiat à sa remorque. J'envoie une photo à ma meilleure amie, suivie d'un simple émoji triste. Je mentirais si je disais que je n'ai pas la larme à l'œil en la voyant s'éloigner dans le lointain pour toujours.

— Allez viens, s'avance Zach, je te paie un café.

Il m'entraîne à l'intérieur du Green Roof, un bras autour de mes épaules. Tandis qu'on fait la queue, je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule et à travers une fenêtre. Là où s'est toujours trouvée la Fiat, il ne reste plus qu'une place vide. On peut encore deviner sa forme grâce à la neige qui entoure son emplacement.

— Je dois ramasser les morceaux de verre, je ne peux pas laisser ça comme ça.

— On n'a pas beaucoup de temps, on a une visite dans vingt minutes.

Tarik nous a annoncé ce matin au petit-déjeuner avoir répondu à une annonce. Le moins qu'on puisse dire, c'est que lorsqu'il a une idée en tête, il ne perd pas de temps pour l'exécuter.

Derrière le comptoir, Magalie finit de servir un client avant de me saluer.

— Aurore, comment tu vas ?

— Un peu secouée, mais ça va. Tu crois que vos caméras ont pu enregistrer les mecs qui ont fait ça à ma voiture ?

À ma gauche, je sens que Zach s'agite. Je n'y prête pas attention.

— Désolée, mais...

Elle se penche en avant pour murmurer :

— ...nos caméras sont factices.

Je hoche la tête, les lèvres pincées.

— Tu passes vraiment une journée de merde, hein ? Laisse-moi t'offrir un café.

— Avec plaisir. Et je pourrais avoir une pelle et une balayette aussi, s'il te plait ?

Elle disparait dans la réserve et revient avec ceci, plus un sac poubelle. Je laisse à Zach le soin de récupérer nos cafés pendant que je ramasse les bouts de verre qui jonchent le parking. J'ai les pieds mouillés à cause de la neige.

Plus que soixante-quatre jours avant le printemps.

The love theory [Tome 1/2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant