La voiture est... cozy. Le siège conducteur me paraît confortable sous mes fesses, même si je vais devoir rajouter du rembourrage à l'arrière pour dormir avec un semblant de confort. L'intérieur est propre, et le volant est agréable sous ma prise, ce qui est important si je dois me déplacer sur le campus ou en ville...
Flûte, mais qu'est-ce que je raconte ? C'est un taudis. Le moteur gronde bruyamment et avec difficulté, et il y a une croix pendue au rétroviseur pour me rappeler que le petit Jésus est témoin de ma misère. C'est la seule condition qu'avait imposée le grand-père de Max avant de lui offrir la voiture. Une façon de la rapprocher de Dieu, je suppose. J'en déduis à l'odeur résiduelle de clope et d'herbe que c'est un échec. En ce qui me concerne, c'est l'occasion ou jamais de prier pour un miracle !
Bien sûr, rien de tout ça ne me dérangeait quand on vadrouillait en ville avec Maxine. Mais maintenant que je dois vivre dans la voiture... Disons juste que je la découvre sous un œil nouveau.
Je me gare sur un parking au nord du campus, préférant m'y aventurer à pieds. Les étudiants bourdonnent autour de moi, et je fais de mon mieux pour éviter de rentrer dans l'un d'eux.
Ah, ce que j'aime cette foule ! Elle étouffe le sentiment de solitude qui me poursuit avec obsession ces derniers temps. Et la fac... Elle est ce qui se rapproche le plus d'une maison, à présent que la vraie fait définitivement partie du passé.
J'essaie de relativiser. D'une certaine façon, la vie me pousse à aller de l'avant. Un peu trop brutalement selon moi, mais tout de même. Cette troisième année promet d'être intéressante. Un sentiment étrange virevolte dans l'air autour de moi, comme si... comme si c'était le début d'une nouvelle phase de ma vie. J'ai l'impression que tout peut arriver.
Sans réfléchir, je me dirige vers le Bureau des Logements. Quand j'ai appelé le secrétariat il y a deux jours, la dame qui a décroché m'a fait savoir avec la courtoisie typique des agents administratifs qu'aucune réduction ne pouvait m'être accordée. Et quand, dans mon désespoir, je l'ai suppliée de me trouver ne serait-ce qu'un placard à balais, elle m'a raccroché au nez. Le message était limpide, néanmoins je préfère retenter ma chance en personne. Qui sait, si la femme de l'accueil voit la précarité étudiante de ses yeux, peut-être qu'elle trouvera une solution miracle à mon problème. J'ai peu d'espoir (pour ne pas dire aucun), mais c'est soi-disant ce qui fait vivre.
— Ah, c'est vous que j'ai eu au téléphone, s'exprime-t-elle en me jaugeant de haut en bas, le visage soudain fermé. Je suis navrée, jeune fille, je ne peux rien pour vous. J'ai pris vos coordonnées, maintenant si une solution se présente, je vous contacterai.
Tu parles ! Voilà une façon éloquente de mettre un pansement Hello Kitty sur une plaie béante, tout ça pour me faire sortir de son bureau minable. Elle me toise par-dessus ses lunettes rondes et, d'un geste las de la main, m'invite à quitter la pièce.
Vieille peau !
Quand je retrouve la chaleur étouffante de l'extérieur, je me sens particulièrement riquiqui. Je commande un Mocha glacé au stand du coin pour tenter, premièrement, de me réconforter, et deuxièmement, de pallier cette maudite chaleur à vous assommer un éléphant ! Puis, entre nous, j'adore le café. C'est ma drogue. Je choisirai toujours une bonne tasse de café plutôt que vingt litres d'alcool.
Je m'assois sur un banc et sors mon téléphone. Comme j'ai besoin de remettre de l'ordre dans ma tête, je fais une liste de tout ce que j'ai besoin d'acheter au plus vite : un oreiller, du matériel pour les cours, des pare-soleils pour me cacher des passants (et du soleil cuisant)...
Je suis interrompue par un appel de Lucas. Quand je suis partie de chez lui hier, il m'a fait promettre de l'appeler en arrivant. Bien sûr, avec cette histoire de voiture, ça m'est complètement sorti de la tête.
J'apporte mon téléphone à l'oreille, coudes sur les genoux.
— Allô ?
— Aurore ? me salue la voix mordante de mon petit-copain. Tu n'es toujours pas arrivée ?
— Si, à l'instant. J'allais t'appeler, là.
— Ah... cool. Je croyais que tu devais arriver à onze heures ?
— J'ai pris du retard avec Maxine.
— T'aurais pu dormir à la maison hier, tu serais partie dans les temps.
— Ce n'est pas très grave, les cours ne commencent pas avant lundi. Je n'ai rien d'autre à faire à part traîner sur le campus.
— Pourquoi t'es pas restée jusqu'à dimanche ? On aurait pu rester ensemble ce weekend.
Je sers les dents pour intérioriser ma frustration. Je suis fatiguée de toujours être à côté de la plaque avec lui. Quoi que je fasse, où que je sois, il trouve toujours le moyen de me reprocher quelque chose.
— Tu sais que j'aime l'ambiance de la fac à la rentrée. Je vais en profiter pour retrouver des amis.
— Comme qui ? ricane-t-il.
À défaut de me faire sourire, sa petite moquerie fait tomber le coin de mes lèvres vers le bas.
— Je dis pas ça pour être méchant, rajoute-t-il tandis que mon silence s'éternise, mais tu m'as dit toi-même que tu n'avais pas beaucoup d'amis. Tu t'en souviens pas ?
— Si, Lucas, je m'en souviens. Mais j'ai quand même des connaissances, et on a prévu de se retrouver pour... manger un bout ensemble.
Ouh, la menteuse ! Cela dit, il est hors de question que j'admette la vérité, à savoir que j'ai prévu de manger une pizza seule à l'arrière de ma voiture. D'ailleurs s'il savait que je vis dedans, il s'étoufferait avec sa salive et viendrait me kidnapper pour me garder à l'abri du monde dans son quarante mètre carré.
— Cool, tant mieux. Sinon ça va ? Rien n'a changé sur le campus ?
Je contemple les vieux bâtiments en pierre qui longent la cour. En son centre, les rebords d'une fontaine asséchée servent de banc aux étudiants. Les arbustes, qui délimitent les différents chemins entre l'aile administrative et le reste de la fac, dansent sur une brise d'été. Les quelques mèches qui s'échappent de mes tresses collées les accompagnent en silence.
À mon plus grand soulagement, tout est exactement comme je l'ai laissé en juin dernier.
— Non, rien. Je suis bien installée.
— Cool, se répète-t-il. Bon faut que je te laisse, j'ai du boulot. Tu m'appelles ce soir ?
— Promis. Bisous !
Il raccroche. Mon regard tombe sur la liste que j'ai commencée avant son appel. Au milieu du tournant chaotique que ma vie est en train de prendre, cette petite liste est tout ce qui m'aide à respirer plus facilement.
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The love theory [Tome 1/2]
Romance𝘊𝘢𝘮𝘱𝘶𝘴 𝘙𝘰𝘮𝘢𝘯𝘤𝘦 | J'aime formuler des théories farfelues sur tout et sur rien. C'est pourquoi lorsque je me cogne contre Zach Stone, un étudiant aussi grossier qu'insolent, je ne peux pas m'empêcher de me pencher sur son cas. Théorie n°1...