🌹Chapitre 44🌹

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Mes soirées sont tranquilles. Depuis cette nuit, Arthur et moi n'avons pas beaucoup parlé. Il est probablement très occupé au travail. Mais j'aimerais qu'il m'accorde un peu plus d'attention. J'en ai assez de servir d'objet d'occasion. Quand il a besoin de moi, il vient me voir. Et quand ce n'est pas le cas, il fait comme si je n'étais pas là. Je me sens comme un bibelot dans cette maison. Et il me semble que c'est le cas, parce que je passe mon temps cloîtrée dans la bibliothèque. À présent, je fais partie intégrante du mobilier.

J'ai fini de lire le livre de Maxime Chattam il y a quelques jours déjà. Aujourd'hui, j'en lis un autre. La France des tueurs en série par Frédéric Vézard. C'est plus une étude psychologique qu'un romans. En fait, ça n'a rien d'un roman. Ce sont les mémoires d'un journaliste qui raconte comment des gens complètement normaux sont devenus des psychopathes. Et comme d'habitude, ça a commencé en Amérique avec le terme Serial Killer dans les années 80. En France, ça n'a commencé que plus tard.

Et chacun de ces psychopathe a sa propre signature. L'un d'eux était un chauffeur de bus pour les jeunes filles attardées. Il gagnait leur confiance et les emmenait dans un coin tranquille où elles acceptaient de coucher avec lui. Et quand la police l'avait interrogé sur la disparition de sept de ces jeunes filles, il avait répondu qu'il ne voulait que coucher avec elles et non les tuer. Mais une sorte de force animale s'emparait de lui à chaque fois. Après l'acte, il leur attachait les mains dans le dos, mettait un bas féminin dans leurs bouches et les enterrait nues dans un lieu paumé. Et d'après le journaliste, les tueurs en série éprouvent donc du plaisir à tuer comme un homme éprouve du plaisir à faire l'amour.

Est-ce que je suis une psychopathe, moi aussi? Je n'ai tué qu'une seule fois, mais c'est déjà assez pour me faire penser que oui. De plus, le docteur Morgan a sûrement parlé de ses trouvailles à quelqu'un. Il faut les faire taire, eux aussi. Je suis sûre qu'ils sont tous sur leurs gardes après la mort si soudaine de ce médecin. Mais combien y en a-t-il? Et est-ce que je serais prête à recommencer une nouvelle fois pour lui? Est-ce que je serais capable de prendre des vies innocentes pour qu'Arthur m'aime? En y pensant bien, c'est une raison absurde pour tuer.

Mais je n'ai aucun contrôle sur mes sentiments. Ils sont tellement forts qu'ils me dictent ce que je dois faire à la place de ma raison. Ce n'est pas du tout à ça que j'aspirait en sortant de l'université. Je tourne une page de plus de mon livre et j'entends des pas s'approcher. Ce n'est sûrement pas Arthur. Il ne marche pas aussi rapidement et ses chaussures ne font pas autant de bruits. Peut-être est-ce June ou Viviane?

— Vous m'avez l'air bien solitaire.

C'est Viviane. Maintenant, sa présence ne me dérange plus trop. Elle est toujours un peu agaçante à mon goût, mais elle reste vivable. Je referme mon livre alors qu'elle prend place sur le fauteuil en face de moi.

— Vous n'avez pas idée à quel point, ma chère Viviane.

Elle sourit. Elle n'est pas moche pour une vieille dame de 70 ans. Viviane pourrait passer pour une mamie gâteau. C'est sûr qu'elle le serait si il y avait un enfant dans cette maison.

— Mais au moins, grâce à vous, Arthur a changé.

— Oui, il m'ignore maintenant.

— Ne lui en voulez pas trop. Ce garçon a vécu des périodes difficiles dans sa vie. Il avait besoin de quelqu'un qui le comprenne et qui lui laisse du temps.

— Peut-être, mais je n'ai pas la patience pour ça, Viviane. J'ai déjà trop donné et je n'ai plus rien. Même pas de la patience.

La vieille me couve d'un regard tendre. Un regard que j'aurais cru ne jamais voir sur son visage. Et je dois dire que ce n'est pas désagréable. En ce moment, j'ai vraiment besoin de quelqu'un qui m'accorde de l'attention. J'ai envie de voir quelqu'un qui m'écoute.

— Vous dites ça maintenant, mais quand Arthur vous demandera de faire quelque chose, vous le ferez sûrement sans vous plaindre.

— C'est malheureusement vrai.

Oui, c'est vrai. Combien de fois ai-je eu l'impression de ne rien représenter pour lui? Combien de fois mon cœur a-t-il été blessé à cause de lui? Assez pour qu'une femme normale s'en aille et trouve quelqu'un d'autre. Mais moi, je lui pardonne tout, absolument tout comme une pauvre idiote. Ça fait mal, mais à chaque fois, je reviens. Jamais deux sans trois comme on dit.

— Vous l'aimez, pas vrai?

J'allais répondre que non, sans réfléchir. Mais après avoir bien réfléchi, à quoi bon mentir? Oui, je l'aime. Mais j'ai l'impression que ce n'est pas de l'amour qu'il y a entre nous. Ce n'est pas non plus de l'amitié ni une quelconque affection. C'est quelque chose de toxic. De mauvais. Je ne saurais l'expliquer, mais c'est comme un jeu sadique. Et c'est lui le maître. Il s'amuse avec moi et je ne dis rien pour le contrer. Ça fait mal. Mais en même temps, ça me plaît.

Viviane attend toujours ma réponse, patiente.

— J'aimerais ne pas l'aimer.

— Pourquoi?

— Pour plusieurs raisons. Par exemple, le fait qu'il aime ma sœur et qu'il m'utilise comme appât pour...

Sait-elle ce que son petit protégé manigance? Sait-elle qu'il n'est pas bien dans sa tête? Sait-elle qu'il me fait souffrir plus qu'une armée de cannibales ne l'aurait fait? La vieille dame soupire et regard à travers la fenêtre. Dehors, il fait noir.

— Je sais qu'il prend de mauvaises décisions parfois.

— Le mot est un peu faible, vous ne trouvez pas?

— Bon, je l'avoue, il est malade. Complètement instable.

— Et pas qu'un peu!

— Je sais. Mais je pense que tout ce dont il a besoin, c'est d'amour.

— Je n'ai pas cessé de lui en donner. Mais il piétine mes sentiments comme si ce n'était rien.

— Je suis sûre que ce n'est pas le cas. Arthur prend beaucoup de temps avant de comprendre les choses. Un jour, il verra que ce qu'il lui fallait était juste là, sous ses yeux.

J'esquisse un sourire. Viviane serait-elle de mon côté? J'espère que je ne rêve pas et qu'elle m'encourage vraiment pour conquérir son abruti de protégé.

— Vous m'aimez bien, n'est-ce pas? Demandais-je.

— Hm, n'allons pas jusque là.

— Allez, Viviane. Avouez que je serais parfaite en maîtresse de maison.

— Vous savez à peine cuisiner.

— Hey, c'est blessant. Je cuisine très bien. Ce ne serait pas génial que j'habite ici pour toujours?

— Seigneur, épargnez-moi ça. Dit-elle en levant les yeux au ciel.

— Et quand j'aurai des enfants, vous leur ferez des glaces.

— Pour des petits monstres comme vous en miniature?

— Des petits monstres que vous aimerez autant que vous aimez Arthur.

Viviane soupire encore. Cette discussion calme était courte, mais agréable. Il est temps de retourner dans le monde réel, où cette vieille bique ne peut pas me voir en peinture. Elle se relève de son fauteuil et regarde derrière moi.

— Tu es enfin rentré, mon garçon.

Mon garçon? Par pitié, faites qu'elle parle à l'un des agents de sécurité et non à Arthur. Je n'ai pas envie de lui parler.

— Oui, j'ai été retardé au travail.

Mauvaise pioche, c'est Arthur. Génial.

Pour la BêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant