Viviane s'en va et me laisse seule avec l'autre. Quand à lui, il se met en face de moi, à la place de la vieille. Si il pense que je vais lui parler après les jours où il m'a ignoré, il se met le doigt dans l'œil jusqu'à l'omoplate. Je reprend donc ma lecture, sans vraiment lire. Un silence s'installe entre nous et je ne compte pas le briser de sitôt. C'est toujours moi qui fait le premier pas vers lui. Pourquoi pas lui, cette fois?
— Bel ouvrage, n'est-ce pas?
Je parie qu'il a déjà lu ce livre. Je parie qu'il a déjà lu tous les livres de cette bibliothèque. Après tout, c'est sa maison ici. Et je suis sûre que quand il n'a rien à faire, il ouvre un bouquin.
— Ruby?
Ah, cette partie a l'air très intéressante! Un psychopathe homosexuel viol ses recrues dans sa voiture pour les laisser morts au bord des routes après les avoir sodomisé. C'était un militaire qui avait une excellente réputation. Mais sa passion pour les films de commandos parachutistes sentait l'embrouille. Intéressant. Vraiment très intéressant.
— Ruby, tu m'ignores?
Et là, le journaliste a écrit que les crimes de ce militaire n'ont été découverts que plusieurs années après la disparition des petits nouveaux. Tout le monde avait considéré ces disparus comme des déserteurs et qu'ils seraient punis par la loi si ils venaient à réapparaître. Ce n'est pas juste! Ils ont été violé et tué, et on les traite de déserteurs! Plus tard, la police a découvert des instruments de torture dans la voiture du militaire parfait. Il aimait le sadomasochisme, c'était sûr.
Ma concentration menace de s'envoler en éclats quand j'entends le froissement des vêtements d'Arthur, signe qu'il se levait. Puis, j'entends ses pas s'approcher. Concentre-toi sur le livre et pas sur lui, Ruby. Il ne mérite pas que je lui adresse la parole. Il ne mérite même pas que je le regarde. C'est un malade qui a fait comme si je n'existais pas pendant des jours. Voyons voir si il pourrait supporter ça. Je sens qu'il se penche et j'en frissonne.
Du calme. Du calme. Reste calme.
Son doigt frôle mon menton et il relève ma tête pour que je puisse le regarder dans les yeux. Mince! Il esquisse un demi-sourire et mon cœur loupe un battement. Pourquoi faut-il qu'il me fasse autant d'effet? Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter un tel sort? Je détourne la tête et il lâche un rire.
— Pourquoi tu m'ignore?
— Parce que ce livre est très intéressant.
— Tu as l'air d'aimer ça, je vois.
Je hoche vigoureusement la tête pour lui montrer que je ne souhaite pas continuer à discuter avec lui. Ce livre inanimé mérite plus mon attention que lui. Cet homme est mauvais pour moi. Je ne peux pas continuer ainsi. Il faut que je reprenne mes esprits et que je trouve le moyen de me défaire de mes sentiments. Je ne peux pas rester plus longtemps dans cet état.
Arthur prend ma main et me tire vers lui, laissant le pauvre livre tomber par terre. Pourvu qu'il n'ait pas de pages cornées à cause de sa chute. Mais le livre est désormais le cadet de mes soucis quand je sens ses lèvres sur mon cou. Une vague d'électricité me traverse à cet endroit et me paralyse complètement. C'est une sensation si délicieuse. Et pourtant, si douloureuse à la fois. Elle m'embrase de l'intérieur et me brûle jusqu'à ce que je ne sois plus que cendre. Arthur est un feu à lui seul. Un incendie de forêt qui risquerait de me tuer.
— Arthur...
— Et si on allait dans la chambre?
Dans la chambre. C'est le seul endroit où je voudrais être à cet instant. J'aimerais laisser libre cours à tout ce que je ressens pour lui et le laisser prendre le contrôle encore une fois. J'aimerais me laisser emporter par les vagues puissantes de mon attirance pour lui. Qu'elles m'engloutissent et que je me noie en elles à tout jamais. Je veux partir à la dérive et ne plus être capable de mesurer le temps. Hier sera pareil qu'aujourd'hui. Et demain sera pareil qu'hier. Il n'y aura que lui et moi dans cet océan de plaisir.
— Arthur, ce n'est pas...
— Attends une seconde.
Il s'attaque à ma bouche et je me perd dans la sienne. Tout n'est plus autour de moi. Il n'y a qu'un néant infini comblé par mon envie de lui. Sa main glisse le long de ma cuisse, brisant mes dernières barrières. Je sens que je tombe dans l'obscurité. Plus rien n'est clair. Pas un rayon de lumière ne vient me guider dans ces ténèbres. Ma chute semble infinie, faisant battre mon cœur à la chamade. C'est une sensation douloureuse car je sais que ma chute, c'est lui. Arthur. C'est lui qui provoque ma déchéance.
Il me tire encore plus vers le désespoir que vers la lumière. Je vais couler avec lui dans cette étendue sombre où ressortent les monstres en nous. Non. Je ne veux pas devenir un monstre. Je ne veux pas appartenir à une bête.
— Arrête.
Arthur se fige. C'est le seul mot que je suis capable de prononcer. Un seule mot, mais un mot assez puissant pour me propulser loin de sa noirceur.
— Je ne veux pas.
— Tu ne veux pas?
— Je n'en ai pas envie.
— Pourquoi?
Je soupire. Il ne comprend rien. Je le regarde dans les yeux, espérant trouver un minimum d'humanité.
— Est-ce que c'est tout ce que je suis pour toi? Est-ce que je ne suis qu'un antidépresseur?
Arthur soupire et s'écarte de moi. Je n'ai pas trouvé ce que je cherchais. Au fond de ses yeux, il n'y a que l'âme d'une bête. Un monstre. Une créature incapable d'amour. C'est juste... un animal. Et cette évidence me fend le cœur.
— Dis-moi si je compte pour toi.
Son regard est froid alors que le mien tremble. Ses yeux sont sans expression tandis que les miens sont larmoyants. Son cœur est fait de pierre et le mien de verre. Lequel gagne?
— Ce n'est pas toi qui parlait d'amour inconditionnel, Ruby?
La pierre gagne.
— Je ne t'ai rien demandé, tu sais?
Elle brise le verre en un seul coup.
— C'est toi qui a décidé de rester.
Elle ne laisse que des fissures irréparables.
Il vient de mettre mon cœur en pièces. Je ne suis donc rien pour lui. Rien qu'un passe-temps. Rien que Ruby, la petite sœur de l'amour de sa vie. Pas une femme désirable parce qu'elle avait tout fait pour lui. Juste...
... rien...
Je viens de me rendre compte d'une chose. J'agis comme un chien. Même si son maître le tabasse, le chien reviens toujours. Même si il ne lui donne rien à manger, le chien reste à ses côtés. C'est cet animal qui éprouve un amour inconditionnel. Je suis pathétique.
— Bonne nuit, Arthur.
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Pour la Bête
Roman d'amourVous aimez les histoires d'amour impossible? Je suppose que c'est un oui à l'unanimité. Alors, me voilà. Voici mon histoire. J'ai eu la malchance de tomber amoureuse d'un homme qui n'a d'yeux que pour ma sœur. Il pense à elle jours et nuits. À aucu...