Elle avait passé la première heure avec ses anciens collègues de l'atelier et c'est avec un léger pincement qu'elle quitta la pièce en gravissant l'historique escalier en fer.
Fini le sous-sol réservé aux métaux précieux, à elle, tout l'aspect créatif de la Maison BARNOY.
Sa mission était de redorer l'image de BARNOY et c'est avec dévotion qu'elle y parviendrait, coûte que coûte, dur comme fer, elle y tenait !
Lorsque Laurette pénétrait dans le bureau de création des bijoux de la marque BARNOY, baptisé « l'Aquarium », elle n'y ressentit que de bonnes vibrations.
Elle savoura la première bouffée d'oxygène, teintée de senteur de mine de crayon bien gras et d'odeur de papier artisanal. Cela la réconforta dès la première seconde. La luminosité des écrans et l'éclairage en teinte douce lui atténuaient la tension naturelle d'un changement radical d'environnement professionnel.
Elle se sentait aussitôt en phase avec l'ambiance, le calme du lieu l'inviterait à beaucoup plus de sérénité à présent.
Déjà déterminée, à la fin de ses études, elle savait ce qu'elle voudrait faire de ses dix doigts : Évoluer dans le domaine de l'art et créer.
Alors, elle avait dessiné une ligne complète de sacs à main, inventé une collection de flacons de parfum, allant même s'habiller de ses propres patrons de couture jusqu'à ce qu'elle reste stupéfaite par le manque de créativité qu'offrait une ligne de bijoux chez le commerçant de sa petite ville de banlieue ouest.
Elle se mit à occuper ses soirées et ses week-ends à inventer toutes sortes de bijoux, n'hésitant pas à faire des prototypes en ferraille, tapisser sa chambre de dessins imaginatifs et présenter ses projets à ses amis et sa famille. C'était à un tel point qu'un jour, elle gagnait le concours des orfèvreries de Paris et obtenait ce rendez-vous à la Maison BARNOY. Tibère avait sélectionné sa candidature et s'était décidé à l'intégrer au showroom sans en faire des tonnes.
Pourtant, c'est bien à l'atelier qu'elle avait pris ses premières marques, car elle voulait comprendre le fonctionnement d'une maison de haute joaillerie dans son entièreté, quitte à endosser la blouse de petite main et s'intégrer à une équipe haute en couleurs, très expérimentée et installée depuis des générations.
Ici, plus d'odeur de métaux, ni de bruit d'outils encore moins de tohu-bohu et autre bagarre de mots, juste le calme du processus créatif.
Les trois hommes l'avaient accueilli avec gentillesse, peut-être avait-elle relevé un peu trop de salamalecs à son égard. Elle savait que dorénavant, il faudrait qu'elle s'impose un peu de discipline dans son attitude à toujours vouloir apprendre des autres et leurs plaire à tout prix.
On attendait d'elle qu'elle sache s'imposer et qu'elle arrive à ordonner tout ce que son imagination offrait comme possibilité. Il fallait également qu'elle sache se mettre en retrait pour prendre en compte ce que ses subordonnés pouvaient amener comme idées à leur tour, bref, un nouveau souffle créatif, une tout autre vie professionnelle.
Elle pénétrait franchement dans la pièce principale de l'Aquarium avec un sentiment de conquête valeureuse. La décoration de la pièce se voulait très moderne, une peinture jaune citron s'étalait à mi-hauteur, le reste jusqu'au plafond était blanc, les meubles fonctionnels et toujours cette lumière savamment diffusée.
Avec droiture, elle se posta au premier bureau libre, mais au moment de prendre sa sacoche, elle aperçut une plaque au nom de Laure Minois sur la double-porte verrière.
LAURE MINOIS,
Cheffe du service
Espace de créativité
Maison BARNOY
Alors, flattée, elle se releva d'un seul coup et ne fit glisser qu'un seul pan de la porte.
Il était temps d'affronter ses nouvelles fonctions, solidement enfoncée dans son siège de bureau hyper design.
A peine était-elle installée que le projet Lucibelle lui arrivait obligeamment sur le bureau.
C'était Benoît, visiblement empoté en présence de sa nouvelle cheffe de service.
‑ Vous voyez Laure, il n'y a plus qu'à trouver la matière de la queue du renard des neiges pour cette chère Lucibelle. Opale, rubis, diamant ? Selon l'échelle de Mohs, le diamant serait...
‑ Oui, ne me sort pas ta science Benoît, faisons comme il était initialement prévu, Lucibelle veut du diamant mais dans un premier temps et surtout pour le plateau télé, du zirconium sera plus opportun et cela nous laissera le temps de choisir les pierres tranquillement la semaine prochaine.
Elle finit sa sentence par un sourire.
‑ Ici, on se tutoie de bon cœur. Nous sommes des créatifs !
‑ Évidemment, Laure.
Benoît repartait d'un seul coup, ragaillardi.
‑ Toi, tu ne m'auras pas si facilement. Je ne suis pas dupe et il faudra que je garde ma rage à chaque instant avec cette sorte d'individu. Heureusement, que nous avons travaillé ensemble au préalable avec Tibère. Songea-t-elle.
Un "ouf" de soulagement sorti de sa bouche, elle s'étira et fit craquer les os de ses mains tout en prenant une grosse bouffée d'air.
‑ Le pire dans tout ça, c'est qu'il a un fichu talent ce Benoît ! Son "Cœur enneigé", en opale translucide, laiteuse et blanche, mérite véritablement la première place au concours créatif de Tibère. Songea-t-elle. Dommage qu'il soit si balourd.
Le doute s'empara de Laurette.
‑ Il va me haïr, cette place, il devait l'attendre depuis des mois.
Elle se laissa glisser au fond de son siège. Le syndrome de l'imposteur ne tardait pas à l'envahir jusqu'au moment où les deux autres créatifs se représentèrent à elle.
Tout de suite, Laure les mit à l'aise et discutait avec eux. Elle savait que se tenaient face à elle, deux hommes motivés et passionnés par le travail en équipe, au moins autant qu'elle.
‑ Deux chevaliers créatifs. Il faut que j'arrive à un point de communication homogène au sein de ce bureau. Pensa-t-elle, aussitôt que les hommes furent sortis.
Elle décidait d'ouvrir les deux pans de la verrière pour ne plus faire qu'une seule et entière pièce.
La journée se passa dans le calme et la pile de travail qui s'empilait sur son bureau, la combla.
A ses yeux, La Maison BARNOY ne devait plus être dans le noir, mieux encore, elle se devait de briller face à ses concurrents. Laurette était dans cet état d'esprit et c'est à la dernière heure seulement que la cheffe de service se remémora ce fameux rendez-vous au Pub avec tous les autres cadres.
Kane pouvait être présent au Jules Verne déjà à cette heure.
Comment réagirait-elle au milieu de ses collègues, perdrait-elle tous ses moyens ou allait-elle faire comme si elle ne le voyait pas en se retournant le dos face au comptoir?
Eva, la jolie rousse, allait-elle l'accompagner ?
S'il la voyait avec tous ses collègues, Kane en profiterait-il pour l'approcher et lui poser des questions sur l'organisation de la joaillerie?
C'était bien un truc de Mimi ça et maintenant, impossible de lui ôter cette idée de la tête.
Après tout, ce Kane n'était peut-être qu'un braqueur établi et sa mère avait totalement raison.
Autant de questions tournaient dans son esprit. Elle préférait les chasser immédiatement, car elle ne voulait plus se laisser submerger par ses craintes.
Cette journée entière passée à l'Aquarium avait réussi à la stimuler. Laurette sortait la tête haute de la grande pièce aux odeurs de créativité. S'échapper de la Maison BARNOY, bien plus tard qu'à l'accoutumé et par la porte réservée à la direction, la comblait de bonheur.
Elle arpentait la place des Dômes au côté d'Osama et quelques cadres retardataires, plus que fière de son propre parcours professionnel.
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De cœur ou de carats
RomanceLaure Minois, tout juste recrutée au sein de "La Maison BARNOY" paraît peu ambitieuse en acceptant une place à l'atelier plutôt qu'au showroom. Pourtant, elle sera vite remarquée par la direction de la joaillerie de la Place des Dômes. Son ascensio...