Par manque de chance, ce mardi matin, la gare était bondée de monde. Laurette avait pris le train de 8 h 10, celui en dernier recours avant de rater pour de bon l'ouverture de l'atelier. Elle courait sur le quai pour rattraper son retard mais ce n'était déjà plus l'heure lorsqu'elle traversait haletante la première rue de la capitale pour rejoindre La Maison Barnoy au plus vite.
Cette nuit, Laurette avait peu dormi. Mimi, sa mère artiste en chômage, était rentrée à trois heures du matin dans un boucan infernal, elle ouvrait tous les tiroirs possibles de la cuisine. Laurette l'avait entendu parler à ses artistes fantômes pendant plus de trente minutes et puis, affalée dans la canapé, elle avait ri jusqu'à quatre heures trente du matin, sans complexe, sans doute un peu étourdie par les soirées à n'en plus finir avec ses amis artistes.
Âgée de cinquante quatre ans, sans emploi depuis cinq mois, Mimi était une véritable experte des costumes de scène et du raccommodage express. En attendant un nouvel emploi, la mère de Laurette vivait sa meilleure vie dans tous les établissements de nuit de Paris.
C'était une véritable noctambule. Comme elle avait tenu un vestiaire une trentaine d'années dans un cabaret de la rive gauche, désormais fermé, il lui était très difficile de s'adapter à la vie diurne. C'était son milieu à elle, celui des artistes, des marginaux, et des noctambules à la dérive.
L'après-midi, elle avait rapidement pris l'habitude de passer des heures au téléphone avec ses amis, perdus eux aussi dans des discussions sur le passé comme par exemple sur le milieu du spectacle qui n'attirait plus tant de monde que ça.
Laurette l'hébergeait donc depuis ce temps, lui laissant plus de place qu'à elle-même dans son propre appartement.
***
Retour à l'atelier, chez BARNOY.
‑ Laurette ? Tibère est venu te demander. Comme tu étais en retard, je lui ai dit que le RER A était en panne, confiait Ludovic afin qu'elle ne se fasse pas enguirlander par la hiérarchie. C'était assez rare d'être convoqué dans les bureaux supérieurs pour ceux de l'atelier. Tant qu'ils s'affairaient à leurs taches, il était impensable d'aller remuer le sous-sol au risque il ne s'embrase de procrastination.
‑ Vous savez ce qu'il me veut ? balbutia Laurette.
Personne n'avait de réponse. Ils avaient tous un regard un peu fuyant sauf Ludovic, le chef d'équipe.
C'était son rôle de faire le lien entre le haut et le bas. Du calme du bas dépendait la quiétude du haut. Du dynamisme du haut dépendait l'énergie du bas.
Ludovic lui expliqua qu'il avait pris le café ce matin avec Tibère et celui-ci lui avait semblé plutôt de bonne humeur.
‑ Mouais...Mado tournait le dos à Ludovic et faisait la moue.
‑ Bon, j'y vais.
Laurette, le rose aux joues se dévouait.
Pour Laurette, l'escalier monumental semblait s'allonger à chaque marche qu'elle gravissait et sous ses pas, le bruit de ferraille de la structure faisait écho dans tout son être, lui glaçant les veines et la faisant frissonner de plus en plus intensément.
C'était sa toute première convocation et elle se cramponnait au garde-fou la main toute froide.
Cet escalier avait été construit par des ouvriers du chantier de la tour Eiffel. Il était d'ailleurs signé de Gustave Eiffel lui-même et le tronçon présent avait été acheté par la Maison BARNOY à un marchand d'art qui partait s'installer aux Amériques. Les BARNOY se flattaient de le faire visiter à la moindre occasion. L'ouverture par cet escalier était une façon habile de surveiller tout en discrétion le reste de l'atelier du haut des marches.
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De cœur ou de carats
RomanceLaure Minois, tout juste recrutée au sein de "La Maison BARNOY" paraît peu ambitieuse en acceptant une place à l'atelier plutôt qu'au showroom. Pourtant, elle sera vite remarquée par la direction de la joaillerie de la Place des Dômes. Son ascensio...